POETIC
AND NOVELISTIC SERIES
AROUND CALF

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« Poetry,»  says Calf, « should be attended to a little more than it is. It is a whole area of man, perhaps the best, the most secret, the most true. It brings, in any case, a very precious information on the heart of the heart of each of us. And then what happens is that, while singing, the heart of the heart communicates itself to others as a revelation, as a surprise, as a provocation.» 

Calf and poetry
Excerpt from

Un cirque à soi

p 31

La maison de Calf et son étoile (The house of Calf and its star)
Michel Seuphor, 28 juillet 1984

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« Poetry,»  says Calf, « should be attended to a little more than it is. It is a whole area of man, perhaps the best, the most secret, the most true. It brings, in any case, a very precious information on the heart of the heart of each of us. And then what happens is that, while singing, the heart of the heart communicates itself to others as a revelation, as a surprise, as a provocation.» 

Calf and poetry
Excerpt from

Un cirque à soi

p 31

La maison de Calf et son étoile (The house of Calf and its star)
Michel Seuphor, 28 juillet 1984

Le monde est plein d'oiseaux

Michel Seuphor, éditions Hanc, Lauzanne, 1968

LE MONDE EST PLEIN D’OISEAUX

Extrait p 202
Calf, qui ne s’y attendait pas, leva la tête :
–Ni savant ni monsieur, dit-il. Ils trinquèrent, hurlèrent, rirent, chahutèrent.
–Silence ! Cria Stummel, un instant de silence s’il vous plaît. J’ai une enquête à faire. Et, s’adressant directement à la Calf : où qu’t’as appris tout ça ?
–À l’école, fit Calf.
–À l’école, où ça ? –Loin d’ici, chef, je ne peux pas vous dire.
–Si tu sais l’english, l’arabe et les maths, et pourquoi qu’tu tiens la pelle ? –Pour apprendre à tenir la pelle. –Faut faire autre chose, mon vieux, t’es fait pour mieux.
–J’aime la pelle. Dans sa voix calme on entendait la conviction. Et la sérénité du regard s’y accordait.
–Il aime la pelle ! riaient-ils. Ben vrai, il l’aime ! Un jeune maçon, grand, sec, cheveux bouclés et nez camus : –Feriez mieux de le laisser tranquille, celui-là. Il y a longtemps que nous avons vu qu’il n’est pas des nôtres, comme vous et moi, quoi.
–Pardon, répliqua Calf, je ne voudrais pas être pris pour une exception. Je suis comme vous : je mange, je bois, je dors, je travaille, je suis syndiqué.
–Mais non, t’es pas comme nous, insista l’autre. Syndiqué, bien sûr, puisque c’est obligatoire. Mais tu n’es pas du parti et tu ne vas pas au bordel comme les copains……

LE MONDE EST PLEIN D’OISEAUX

Extrait p 202
Calf, qui ne s’y attendait pas, leva la tête :
–Ni savant ni monsieur, dit-il. Ils trinquèrent, hurlèrent, rirent, chahutèrent.
–Silence ! Cria Stummel, un instant de silence s’il vous plaît. J’ai une enquête à faire. Et, s’adressant directement à la Calf : où qu’t’as appris tout ça ?
–À l’école, fit Calf.
–À l’école, où ça ? –Loin d’ici, chef, je ne peux pas vous dire.
–Si tu sais l’english, l’arabe et les maths, et pourquoi qu’tu tiens la pelle ? –Pour apprendre à tenir la pelle. –Faut faire autre chose, mon vieux, t’es fait pour mieux.
–J’aime la pelle. Dans sa voix calme on entendait la conviction. Et la sérénité du regard s’y accordait.
–Il aime la pelle ! riaient-ils. Ben vrai, il l’aime ! Un jeune maçon, grand, sec, cheveux bouclés et nez camus : –Feriez mieux de le laisser tranquille, celui-là. Il y a longtemps que nous avons vu qu’il n’est pas des nôtres, comme vous et moi, quoi.
–Pardon, répliqua Calf, je ne voudrais pas être pris pour une exception. Je suis comme vous : je mange, je bois, je dors, je travaille, je suis syndiqué.
–Mais non, t’es pas comme nous, insista l’autre. Syndiqué, bien sûr, puisque c’est obligatoire. Mais tu n’es pas du parti et tu ne vas pas au bordel comme les copains……

Le monde est plein d'oiseaux

Michel Seuphor, éditions Hanc, Lauzanne, 1968

Tout homme

Michel Seuphor, éditions Jean-Michel Place, Paris, 1978

TOUT HOMME

Extraits
MON AMI CALF

Il y a, dans le for intérieur de tout homme, un jardin secret qui est le lieu premier, non seulement de cet homme mais de l’homme, le lieu premier de l’humanité.

Beaucoup ne savent pas qu’ils le possèdent, ils sont la proie des slogans, des idées toutes faites, du bruit qui court et ils perdent le plus beau chant, la liberté intérieure, ils perdent le bien le plus précieux, le gouvernement de soi.

LA FÊTE À INNOCENCE

Je reviens d’Innocence. C’est un pays merveilleux, une des belles choses du monde, mais rares, aussi rare qu’ignorée. J’y retourne dans huit jours pour la fête du village, comme je fais chaque année depuis longtemps. Cette fois, je compte y amener mon ami Calf (…).

TOUT HOMME

Extraits
MON AMI CALF

Il y a, dans le for intérieur de tout homme, un jardin secret qui est le lieu premier, non seulement de cet homme mais de l’homme, le lieu premier de l’humanité.

Beaucoup ne savent pas qu’ils le possèdent, ils sont la proie des slogans, des idées toutes faites, du bruit qui court et ils perdent le plus beau chant, la liberté intérieure, ils perdent le bien le plus précieux, le gouvernement de soi.

LA FÊTE À INNOCENCE

Je reviens d’Innocence. C’est un pays merveilleux, une des belles choses du monde, mais rares, aussi rare qu’ignorée. J’y retourne dans huit jours pour la fête du village, comme je fais chaque année depuis longtemps. Cette fois, je compte y amener mon ami Calf (…).

Tout homme

Michel Seuphor, éditions Jean-Michel Place, Paris, 1978

Les innoncents

Michel Seuphor, éditions Jean-Michel Place, Paris, 1979

LES INNOCENTS

Extrait
LES TIGRES

Vrac-en-France est ce lieu que l’on disait abandonné de tous à cause de la masse du silence. J’y ai trouvé des chats, deux tigres ambulants et l’écho du rire de Calf répondant à toutes mes billevesées, mes raisonnables billevesées. J’y suis, j’y reste. Car tout le reste m’est égal. Ce qui me reste est bien assez pour vivre à Vrac-en-France et faire ce qui me plaît, avec mes tigres ambulants, trois chats corrects et le merveilleux écho du rire de Calf-quand Calf n’est pas près de moi, car je le vois souvent. Il me voit, je le bois. Innocence est à un quart d’heure de promenade. Lorsque le vent est à l’ouest on entend la voix du maire. Vivre c’est pour soi. C’est donc pour moi. Et tout ce qui est pour moi je l’ai mis à Vrac-en-France. Je veux dire ici même. pour toi. Pour vous….
Car, enfin, si je n’ai pas pu demeurer à Innocence, c’est parce que tout le monde y est heureux. Le soleil s’y goûte à même la terre, sans la plus petite ombre. J’ai voulu prendre mes distances. J’ai bien fait. Car à Vrac-en-France le soleil a beaucoup plus de prix à cause du temps maussade et de la dofte pluie, la doufte et softe pluie. Il me paraît très juste et très bon que le temps aussi pleure quelquefois. Et je pleure avec lui, tout en riant.
Mes démons particuliers sont là aussi. Que serais-je sans eux ? Ils ont peuplé ma vie de ces superbes ennemis qui me regardent de haut, qui voient le dedans de ma vie en vrac – car je n’ai pas de secret – et ne peuvent rien y comprendre. Ils sollicitent la Haine, la Colère et la sainte Indifférence, la plus cruelle de toutes, pour me réduire et n’y sont jamais parvenus. Parce que, justement, mes démons particuliers sont tout de suite présents pour défendre la place. Mon drapeau blanc fait le reste (…).

LES INNOCENTS

Extrait
LES TIGRES

Vrac-en-France est ce lieu que l’on disait abandonné de tous à cause de la masse du silence. J’y ai trouvé des chats, deux tigres ambulants et l’écho du rire de Calf répondant à toutes mes billevesées, mes raisonnables billevesées. J’y suis, j’y reste. Car tout le reste m’est égal. Ce qui me reste est bien assez pour vivre à Vrac-en-France et faire ce qui me plaît, avec mes tigres ambulants, trois chats corrects et le merveilleux écho du rire de Calf-quand Calf n’est pas près de moi, car je le vois souvent. Il me voit, je le bois. Innocence est à un quart d’heure de promenade. Lorsque le vent est à l’ouest on entend la voix du maire. Vivre c’est pour soi. C’est donc pour moi. Et tout ce qui est pour moi je l’ai mis à Vrac-en-France. Je veux dire ici même. pour toi. Pour vous….
Car, enfin, si je n’ai pas pu demeurer à Innocence, c’est parce que tout le monde y est heureux. Le soleil s’y goûte à même la terre, sans la plus petite ombre. J’ai voulu prendre mes distances. J’ai bien fait. Car à Vrac-en-France le soleil a beaucoup plus de prix à cause du temps maussade et de la dofte pluie, la doufte et softe pluie. Il me paraît très juste et très bon que le temps aussi pleure quelquefois. Et je pleure avec lui, tout en riant.
Mes démons particuliers sont là aussi. Que serais-je sans eux ? Ils ont peuplé ma vie de ces superbes ennemis qui me regardent de haut, qui voient le dedans de ma vie en vrac – car je n’ai pas de secret – et ne peuvent rien y comprendre. Ils sollicitent la Haine, la Colère et la sainte Indifférence, la plus cruelle de toutes, pour me réduire et n’y sont jamais parvenus. Parce que, justement, mes démons particuliers sont tout de suite présents pour défendre la place. Mon drapeau blanc fait le reste (…).

Les innoncents

Michel Seuphor, éditions Jean-Michel Place, Paris, 1979

Dix-neuf variations sans thème*

Michel Seuphor, éditions Jean-Michel Place, Paris, 1979

DIX NEUF VARIATIONS SANS THÈME

CLOWNERIE

C’est ici, je crois, qu’il faut que j’introduise Poplixe, le clown Poplixe, le frère de Pataquaz. Ils ont été élevés ensemble et se distinguent peu l’un de l’autre. Ils ont tous les deux le même regard bleu, la même langue accrochée à la joue gauche, le même funiculaire pour faire la courte échelle, la même joie paresseuse à effrayer les oies, la même manière de fouler aux pieds les applaudissements. La seule chose qui les sépare, c’est les ficelles. Poplixe en a et Pataquaz n’en a pas. Et, même s’il en avait, elles ne lui serviraient pas à grand-chose. C’est que les ficelles de Poplixe ont toujours quelque chose au bout. Tu lui donnes un bout de ficelle, n’importe laquelle, mince, grosse, rouge, bleue, verte, de laine, de chanvre, de fil de nylon, même de papier, il s’arrangera toujours pour qu’il y ait quelque chose au bout. Et cela surprend d’autant plus que tous ces bouts font très facilement connaissance et que tous ces bouts, mis bout à bout, finissent par faire un drôle de monde ficelle qui se faufile partout, allant facilement d’ici à Londres et retour, pour aboutir nulle part. La clownerie est là. Celle de Poplixe. Et Pataquaz, dans sa boutique, vend pour deux sous les bouts dont Poplixe ne sait quoi faire. S’il ne sait pas quoi en faire, c’est que ce qu’il y a au bout de l’intéresse pas. Par exemple, si c’est une locomotive, cela ne l’intéresse pas ; par exemple, si c’est un chant d’oiseau, cela l’intimide mais ne l’intéresse pas ; si c’est une interconnexion nouvelle des signes du zodiaque, cela le prend au dépourvu mais ne l’intéresse pas, Poplixe dit :
– Ficelle, ficelle, file doux mademoiselle, va chercher la nouvelle, là-bas au pied du mur. Et la ficelle file doux et elle revient avec la toute neuve nouvelle qui se trouvait là-bas au pied du mur. Et la toute neuve nouvelle est dans les journaux du soir. Mais Poplixe s’arrange toujours pour que personne ne le sache dans le village : il fait nuit noire et tout le monde dort. Cependant, la plus belle de ses ficelles, il la réserve au lendemain et au grand jour. Elle est si longue, celle-là, qu’il est facile de la lancer par-dessus le toit de la maison du maire. Et quand il la retire, par la porte de cette maison, il y a un énorme rhinocéros au bout. Et quand il frappe le rhinocéros d’une tête d’épingle, il se change en Thémistocle. Et quand il touche le nez de Thémistocle avec une clé de voûte, il se change en oiseau. Et quand il met une flûte dans le bec de l’oiseau il ne reste plus que le duvet même de l’oiseau. Et le duvet s’élève dans l’air, très haut, très haut, et devient un opulent nuage. Et sur le nuage sont assis en rond, les douze apôtres. À ce moment, tout le monde crie : « Bravo ! Bravo Le clown ».
Et le tour de la ficelle est joué.

DIX NEUF VARIATIONS SANS THÈME

CLOWNERIE

C’est ici, je crois, qu’il faut que j’introduise Poplixe, le clown Poplixe, le frère de Pataquaz. Ils ont été élevés ensemble et se distinguent peu l’un de l’autre. Ils ont tous les deux le même regard bleu, la même langue accrochée à la joue gauche, le même funiculaire pour faire la courte échelle, la même joie paresseuse à effrayer les oies, la même manière de fouler aux pieds les applaudissements. La seule chose qui les sépare, c’est les ficelles. Poplixe en a et Pataquaz n’en a pas. Et, même s’il en avait, elles ne lui serviraient pas à grand-chose. C’est que les ficelles de Poplixe ont toujours quelque chose au bout. Tu lui donnes un bout de ficelle, n’importe laquelle, mince, grosse, rouge, bleue, verte, de laine, de chanvre, de fil de nylon, même de papier, il s’arrangera toujours pour qu’il y ait quelque chose au bout. Et cela surprend d’autant plus que tous ces bouts font très facilement connaissance et que tous ces bouts, mis bout à bout, finissent par faire un drôle de monde ficelle qui se faufile partout, allant facilement d’ici à Londres et retour, pour aboutir nulle part. La clownerie est là. Celle de Poplixe. Et Pataquaz, dans sa boutique, vend pour deux sous les bouts dont Poplixe ne sait quoi faire. S’il ne sait pas quoi en faire, c’est que ce qu’il y a au bout de l’intéresse pas. Par exemple, si c’est une locomotive, cela ne l’intéresse pas ; par exemple, si c’est un chant d’oiseau, cela l’intimide mais ne l’intéresse pas ; si c’est une interconnexion nouvelle des signes du zodiaque, cela le prend au dépourvu mais ne l’intéresse pas, Poplixe dit :
– Ficelle, ficelle, file doux mademoiselle, va chercher la nouvelle, là-bas au pied du mur. Et la ficelle file doux et elle revient avec la toute neuve nouvelle qui se trouvait là-bas au pied du mur. Et la toute neuve nouvelle est dans les journaux du soir. Mais Poplixe s’arrange toujours pour que personne ne le sache dans le village : il fait nuit noire et tout le monde dort. Cependant, la plus belle de ses ficelles, il la réserve au lendemain et au grand jour. Elle est si longue, celle-là, qu’il est facile de la lancer par-dessus le toit de la maison du maire. Et quand il la retire, par la porte de cette maison, il y a un énorme rhinocéros au bout. Et quand il frappe le rhinocéros d’une tête d’épingle, il se change en Thémistocle. Et quand il touche le nez de Thémistocle avec une clé de voûte, il se change en oiseau. Et quand il met une flûte dans le bec de l’oiseau il ne reste plus que le duvet même de l’oiseau. Et le duvet s’élève dans l’air, très haut, très haut, et devient un opulent nuage. Et sur le nuage sont assis en rond, les douze apôtres. À ce moment, tout le monde crie : « Bravo ! Bravo Le clown ».
Et le tour de la ficelle est joué.

Dix-neuf variations sans thème*

Michel Seuphor, éditions Jean-Michel Place, Paris, 1979

Village natal

Michel Seuphor, éditions Jean-Michel Place, Paris, 1980

VILLAGE NATAL

Extrait
AVOIR ET ÊTRE

Il y avait une grande affluence de monde sur la place de Barbebasse. Un plaisantin avait dit à ces crédules personnes que ce jour-là, à huit heures du matin, il y aurait distribution, devant le monument aux morts, de ce que la vie leur devait à tous, qu’il y aurait enfin cette simple formalité, depuis si longtemps attendue, et que justice serait faite.
Ils étaient deux cent trente-sept. Quelques-uns étaient venus des villages voisins. La plupart avait apporté de grosses valises, déjà ouvertes sur la place, pour recevoir ce qui leur était dû.
Le garde champêtre Blanicastre, mis au courant de la farce, était là pour maintenir un semblant d’ordre.
Ils étaient de tous les âges, mais les très jeunes dominaient largement, les très jeunes très hauts poussés, avec de grands cheveux de grandes bouches généralement ouvertes.
Beaucoup avaient des guitares toutes neuves et des ambitions nulles.
Blanicastre, très poliment, très patiemment, réussit à les mettre en rang, puis alla chercher Calf. Car Calf les connaissait tous, au moins de vue, et tous avaient de l’estime pour le lisseur de poil, pour son petit calot, pour sa petite taille et pour sa blouse couleur poussière, aux manches trop longues qu’il retroussait. – Mes chers amis, dit-il on vous a trompés. La vie n’est pas quelque chose que l’on reçoit, mais quelque chose que l’on donne. Une voix très forte lui répondit :
– Nous n’avons rien. Alors ?
Le Syrien attendit que l’écho de la voix forte fût tout à fait éteint. Comme personne d’autre ne semblait vouloir prendre la parole, il poursuivit :
– donner, mes amis, cela ne se fait pas avec de l’avoir, pas du tout avec de l’avoir, mais avec l’être. Trouvez l’être qui se cache en vous et vous aurez tout de suite beaucoup à dépenser. La vie ne vous est pas donnée, la vie c’est de vous qu’on l’attend, c’est de vous que le monde doit la recevoir. Vous êtes tous riches, grands et petits, jeunes et vieux, vous êtes tous très riches et vous ne le savez pas. Pliez vos bagages, fermez vos valises, fermez vos bouches et vos cabas. Chantez-moi quelque chose plutôt, tournez-vous vers le monument aux morts qui est là pour vous faire rire, vous ne l’aviez pas vu ? Riez, jetez un grand éclat de rire et quelque chose pourra peut-être commencer. – À mon commandement, dit Blanicastre, décampez. Ils n’avaient pas encore appris à désobéir.

VILLAGE NATAL

Extrait
AVOIR ET ÊTRE

Il y avait une grande affluence de monde sur la place de Barbebasse. Un plaisantin avait dit à ces crédules personnes que ce jour-là, à huit heures du matin, il y aurait distribution, devant le monument aux morts, de ce que la vie leur devait à tous, qu’il y aurait enfin cette simple formalité, depuis si longtemps attendue, et que justice serait faite.
Ils étaient deux cent trente-sept. Quelques-uns étaient venus des villages voisins. La plupart avait apporté de grosses valises, déjà ouvertes sur la place, pour recevoir ce qui leur était dû.
Le garde champêtre Blanicastre, mis au courant de la farce, était là pour maintenir un semblant d’ordre.
Ils étaient de tous les âges, mais les très jeunes dominaient largement, les très jeunes très hauts poussés, avec de grands cheveux de grandes bouches généralement ouvertes.
Beaucoup avaient des guitares toutes neuves et des ambitions nulles.
Blanicastre, très poliment, très patiemment, réussit à les mettre en rang, puis alla chercher Calf. Car Calf les connaissait tous, au monis de vue, et tous avaient de l’estime pour le lisseur de poil, pour son petit calot, pour sa petite taille et pour sa blouse couleur poussière, aux manches trop longues qu’il retroussait. – Mes chers amis, dit-il on vous a trompés. La vie n’est pas quelque chose que l’on reçoit, mais quelque chose que l’on donne. Une voix très forte lui répondit :
– Nous n’avons rien. Alors ?
Le Syrien attendit que l’écho de la voix forte fût tout à fait éteint. Comme personne d’autre ne semblait vouloir prendre la parole, il poursuivit :
– donner, mes amis, cela ne se fait pas avec de l’avoir, pas du tout avec de l’avoir, mais avec l’être. Trouvez l’être qui se cache en vous et vous aurez tout de suite beaucoup à dépenser. La vie ne vous est pas donnée, la vie c’est de vous qu’on l’attend, c’est de vous que le monde doit la recevoir. Vous êtes tous riches, grands et petits, jeunes et vieux, vous êtes tous très riches et vous ne le savez pas. Pliez vos bagages, fermez vos valises, fermez vos bouches et vos cabas. Chantez-moi quelque chose plutôt, tournez-vous vers le monument aux morts qui est là pour vous faire rire, vous ne l’aviez pas vu ? Riez, jetez un grand éclat de rire et quelque chose pourra peut-être commencer. – À mon commandement, dit Blanicastre, décampez. Ils n’avaient pas encore appris à désobéir.

Village natal

Michel Seuphor, éditions Jean-Michel Place, Paris, 1980

Les environs d'Illeux

Michel Seuphor, éditions Jean-Michel Place, Paris, 1980

LES ENVIRONS D’ILLEUX

Extrait
AVOIR ET ÊTRE

Aujourd’hui, en présence de Calf, les meilleurs rieurs des Environs d’Illeux étaient présents, tous très graves, conscients de la solennité de l’heure.
Émilien, un maigre trop poussé, aux grands cheveux de tabac blond, ouvrit la séance et aussitôt se mit à se tordre :
Whaï-aï-aï hi-hi-hi
Whaï-aï-aï
Whaï-aï-aï hi-hi-hi
Leu
leu
que le me leu
leu
que le me leu

whaï hou-la hou-la-la
whaï hou-la

tini-mini inni-mi
inni-tini inni-mi
whaï-whou – whou aï ……i i i

Il reprit sa place sous les applaudissements. Immpke-Kimmpe lui succéda :

La
Ha ! ha ! ha ! hâaaaa !
La
Méza la lorre la
La …… la
Ha ! ha ! ha ! hâaaaa !

Maille stoupa
Maille stoupa kali
Kali quamme
Quamme quamme quamme
Kali kali quamme
la
Ha ! ha ! ha ! hâaaaa !

LES ENVIRONS D’ILLEUX

Extrait
AVOIR ET ÊTRE

Aujourd’hui, en présence de Calf, les meilleurs rieurs des Environs d’Illeux étaient présents, tous très graves, conscients de la solennité de l’heure.
Émilien, un maigre trop poussé, aux grands cheveux de tabac blond, ouvrit la séance et aussitôt se mit à se tordre :
Whaï-aï-aï hi-hi-hi
Whaï-aï-aï
Whaï-aï-aï hi-hi-hi
Leu
leu
que le me leu
leu
que le me leu

whaï hou-la hou-la-la
whaï hou-la

tini-mini inni-mi
inni-tini inni-mi
whaï-whou – whou aï ……i i i

Il reprit sa place sous les applaudissements. Immpke-Kimmpe lui succéda :

La
Ha ! ha ! ha ! hâaaaa !
La
Méza la lorre la
La …… la
Ha ! ha ! ha ! hâaaaa !

Maille stoupa
Maille stoupa kali
Kali quamme
Quamme quamme quamme
Kali kali quamme
la
Ha ! ha ! ha ! hâaaaa !

Les environs d'Illeux

Michel Seuphor, éditions Jean-Michel Place, Paris, 1980

Les franges du temps privé

Michel Seuphor, éditions Jean-Michel Place, Octobre 1980

LES FRANGES DU TEMPS PRIVÉ

Extrait
LES BOSSES

Birbisse était bossu et il ne le savait pas, parce qu’il ne s’était jamais vu de dos. Quand il eut atteint l’âge de se marier, il épousa Kwik qui lui apprit qu’il était bossu.

– Mais non, dit Birbisse, je ne suis pas bossu, moi. Je le saurais, voyons.

– Mais si, dit Kwik, tu es bossu, tiens, rends-toi compte. Ce disant, elle lui prit la main d’autorité afin de lui faire toucher sa bosse par ses doigts propres. Et Birbisse sut qu’il était bossu.
Vingt ans passèrent, faisant un ménage simplement heureux. Un peu banal pourtant et un peu ennuyeux, parce que c’était une époque où tout était banal et ennuyeux.
Un jour, Birbisse vit avec étonnement que sa femme était bossue, elle aussi. Pendant ces vingt années, il ne l’avait vu que de face, parce qu’elle était toujours assise en regard de lui. Mais ce jour-là elle lui tourna le dos pour un motif fortuit, et Birbisse vit nettement sa bosse. – Sais-tu que tu es bossue, toi aussi, lui dit-il. –Mais non, rétorqua-t-elle avec humeur, je le saurais, voyons ! – Tiens, regarde. Et sans même l’aide d’un miroir il fit toucher sa propre bosse de sa propre main à Kwik. Et Kwik sut qu’elle était bossue. – C’est bien fâcheux, dit-elle, que faire maintenant ? Tu vas sûrement me répudier.
– Mais non, dit Birbisse, tu ne m’as pas répudié pour ma vilaine bosse et je ne te répudierai pas non plus pour ta vilaine bosse à toi. Voilà ce que nous allons faire : nous allons apprendre à nos deux bosses à se prospecter l’une l’autre, ainsi à mieux se connaître et à s’aimer l’une l’autre. Puis elles vont apprendre à s’épauler et à ne plus faire qu’une seule bosse. Deux bosses ensemble ne faisant plus qu’une, cela peut réaliser des tas de choses, des tas de rêves bossus et pas bossus, je pense même qu’elles pourront apprendre à monter très haut, à l’instar des montagnes, après tout, ne sont que des bosses elles aussi. Qui sait si avant de mourir, nous n’aurons pas le temps de faire de nos deux vilaines bosses unifiées une vraie montagne avec des pâturages ? Essayons toujours, cela vaut mieux que de continuer à vivre comme des mouflons.
Ils réussirent très bien dans l’entreprise que tout le monde disait vouée à l’échec, tellement elle était inusitée. Les deux bosses ensemble firent merveille. Elles se superbosselaient en se bomballant, elle se billebossaient en s’ombellibilbollant elles se patibossaient en se patibossant, elles se pluribossaient en bourgeonnant dans le bourbousse, jusqu’à ce que, de double bosse en double bosse récompensée, leur éminence se fit mont. Il existe encore aujourd’hui, il s’appelle montbosse. De son sommet, où la vachette et la brebis abondent avec le pissenlit, on voit très loin dans le passé, très loin dans l’avenir et même, ce qui est beaucoup plus rare, profondément dans l’aujourd’hui.

LES FRANGES DU TEMPS PRIVÉ

Extrait
LES BOSSES

Birbisse était bossu et il ne le savait pas, parce qu’il ne s’était jamais vu de dos. Quand il eut atteint l’âge de se marier, il épousa Kwik qui lui apprit qu’il était bossu.

– Mais non, dit Birbisse, je ne suis pas bossu, moi. Je le saurais, voyons.

– Mais si, dit Kwik, tu es bossu, tiens, rends-toi compte. Ce disant, elle lui prit la main d’autorité afin de lui faire toucher sa bosse par ses doigts propres. Et Birbisse sut qu’il était bossu.
Vingt ans passèrent, faisant un ménage simplement heureux. Un peu banal pourtant et un peu ennuyeux, parce que c’était une époque où tout était banal et ennuyeux.
Un jour, Birbisse vit avec étonnement que sa femme était bossue, elle aussi. Pendant ces vingt années, il ne l’avait vu que de face, parce qu’elle était toujours assise en regard de lui. Mais ce jour-là elle lui tourna le dos pour un motif fortuit, et Birbisse vit nettement sa bosse. – Sais-tu que tu es bossue, toi aussi, lui dit-il. –Mais non, rétorqua-t-elle avec humeur, je le saurais, voyons ! – Tiens, regarde. Et sans même l’aide d’un miroir il fit toucher sa propre bosse de sa propre main à Kwik. Et Kwik sut qu’elle était bossue. – C’est bien fâcheux, dit-elle, que faire maintenant ? Tu vas sûrement me répudier.
– Mais non, dit Birbisse, tu ne m’as pas répudié pour ma vilaine bosse et je ne te répudierai pas non plus pour ta vilaine bosse à toi. Voilà ce que nous allons faire : nous allons apprendre à nos deux bosses à se prospecter l’une l’autre, ainsi à mieux se connaître et à s’aimer l’une l’autre. Puis elles vont apprendre à s’épauler et à ne plus faire qu’une seule bosse. Deux bosses ensemble ne faisant plus qu’une, cela peut réaliser des tas de choses, des tas de rêves bossus et pas bossus, je pense même qu’elles pourront apprendre à monter très haut, à l’instar des montagnes, après tout, ne sont que des bosses elles aussi. Qui sait si avant de mourir, nous n’aurons pas le temps de faire de nos deux vilaines bosses unifiées une vraie montagne avec des pâturages ? Essayons toujours, cela vaut mieux que de continuer à vivre comme des mouflons.
Ils réussirent très bien dans l’entreprise que tout le monde disait vouée à l’échec, tellement elle était inusitée. Les deux bosses ensemble firent merveille. Elles se superbosselaient en se bomballant, elle se billebossaient en s’ombellibilbollant elles se patibossaient en se patibossant, elles se pluribossaient en bourgeonnant dans le bourbousse, jusqu’à ce que, de double bosse en double bosse récompensée, leur éminence se fit mont. Il existe encore aujourd’hui, il s’appelle montbosse. De son sommet, où la vachette et la brebis abondent avec le pissenlit, on voit très loin dans le passé, très loin dans l’avenir et même, ce qui est beaucoup plus rare, profondément dans l’aujourd’hui.

Les franges du temps privé

Michel Seuphor, éditions Jean-Michel Place, Octobre 1980

Échos et nouvelles d'autre chose

Michel Seuphor, éditions Jean-Michel Place, Paris, Novembre 1980

ECHOS ET NOUVELLES D’AUTRE CHOSE

Extrait
LES FRERES FAILLIS

Lorsque celui qui est entré par cette faille univers, par cette porte à peine entrebâillée, se rend compte qu’il est en faillite perpétuelle par une sorte de contrat congénital, il se palpe enfin et se trouve périssable, en péril constant de poussière. Alors il se pourrait que, sous le choc, il perde son empois.
–Et tu trouves l’homme, le frère avec lequel il n’y a pas de compétition, ni surenchère aucune de vanité. Car il a vu que la vie, avec ses accessoires et ses superstructures, n’est que l’ébauche d’une erreur.
Passée cette mise au point, les faillis seront mûrs bientôt pour faire une société. Je veux dire une fraternité humaine, solidement fondée sur la faillite.
C’est le coup de soleil sur un peu de sable épars, soulevé par le vent.

ECHOS ET NOUVELLES D’AUTRE CHOSE

Extrait
LES FRERES FAILLIS

Lorsque celui qui est entré par cette faille univers, par cette porte à peine entrebâillée, se rend compte qu’il est en faillite perpétuelle par une sorte de contrat congénital, il se palpe enfin et se trouve périssable, en péril constant de poussière. Alors il se pourrait que, sous le choc, il perde son empois.
–Et tu trouves l’homme, le frère avec lequel il n’y a pas de compétition, ni surenchère aucune de vanité. Car il a vu que la vie, avec ses accessoires et ses superstructures, n’est que l’ébauche d’une erreur.
Passée cette mise au point, les faillis seront mûrs bientôt pour faire une société. Je veux dire une fraternité humaine, solidement fondée sur la faillite.
C’est le coup de soleil sur un peu de sable épars, soulevé par le vent.

Échos et nouvelles d'autre chose

Michel Seuphor, éditions Jean-Michel Place, Paris, Novembre 1980

La Nacelle

Michel Seuphor, éditions Jean-Michel Place, Décembre 1980

LA NACELLE

Extrait

Je dis à ma nacelle que j’aimerais bien une fois, une fois seulement, aller à la pêche aux idées, dans la grande mer de Nouss, sur l’un de ces beaux bateaux à la coque solide et à l’immense voilure de soie, bravant vents et tempêtes, dont les noms sont Parménide, Xénon, Empédocle, Xénophane, Héraclite.

Elle resta silencieuse et je sentis une réticence.
– La pêche aux idées, dit-elle enfin, n’est plus ce qu’elle était en ce temps-là, j’ai presque peine à te l’apprendre. Elle se pratique toujours, c’est vrai, sur des bateaux semblables à ceux dont tu me parles, et la grande mer de Nouss est là aussi, mais ce qu’on y pêche est différent. Les poissons sont devenus dangereux, très dangereux, parce que tous sont explosifs et ceux qui paraissent les plus inoffensifs sont pleins de poisons mortels.
La cause en est que les vraies idées indépendantes ont été toutes avalées par les requins, et les monstres ont empoisonné les eaux, autrefois si limpides, en n’y laissant vivre que ceux qu’ils ont dressé à leur obéissance. Mieux vaut ne pas s’occuper du tout de la grande mer de Nouss jusqu’à ce que les requins se soient exterminés entre eux par le simple exercice de leur force, de leur gloutonnerie. Il y a d’autres mers où tu pourras pêcher des poissons, tout à fait sains ceux-là. Allons plutôt au lac de Tishny ou à l’océan de Piisis. Il y a tout ce qu’il faut pour nourrir les fringales de tes rêves. Nous y étions déjà, et le premier poisson qui sauta dans ma nacelle chanta :
Mizou mizou écoute bien ceci mizou…

LA NACELLE

Extrait

Je dis à ma nacelle que j’aimerais bien une fois, une fois seulement, aller à la pêche aux idées, dans la grande mer de Nouss, sur l’un de ces beaux bateaux à la coque solide et à l’immense voilure de soie, bravant vents et tempêtes, dont les noms sont Parménide, Xénon, Empédocle, Xénophane, Héraclite.

Elle resta silencieuse et je sentis une réticence.
– La pêche aux idées, dit-elle enfin, n’est plus ce qu’elle était en ce temps-là, j’ai presque peine à te l’apprendre. Elle se pratique toujours, c’est vrai, sur des bateaux semblables à ceux dont tu me parles, et la grande mer de Nouss est là aussi, mais ce qu’on y pêche est différent. Les poissons sont devenus dangereux, très dangereux, parce que tous sont explosifs et ceux qui paraissent les plus inoffensifs sont pleins de poisons mortels.
La cause en est que les vraies idées indépendantes ont été toutes avalées par les requins, et les monstres ont empoisonné les eaux, autrefois si limpides, en n’y laissant vivre que ceux qu’ils ont dressé à leur obéissance. Mieux vaut ne pas s’occuper du tout de la grande mer de Nouss jusqu’à ce que les requins se soient exterminés entre eux par le simple exercice de leur force, de leur gloutonnerie. Il y a d’autres mers où tu pourras pêcher des poissons, tout à fait sains ceux-là. Allons plutôt au lac de Tishny ou à l’océan de Piisis. Il y a tout ce qu’il faut pour nourrir les fringales de tes rêves. Nous y étions déjà, et le premier poisson qui sauta dans ma nacelle chanta :
Mizou mizou écoute bien ceci mizou…

La Nacelle

Michel Seuphor, éditions Jean-Michel Place, Décembre 1980

Comme l'air qui passe

Michel Seuphor, éditions Jean-Michel Place, Paris, Juillet 1981

COMME L’AIR QUI PASSE

Extrait
HEUREUX LES ANORMAUX

Il y avait une fois une femme qui était mordue de l’envie folle de coucher avec un homme ; cette femme rencontra un homme qui était mordu de l’envie folle de coucher avec une femme. Ça tombait bien ! Aussi tombèrent-ils tous deux dans le panneau grand ouvert des appétits rassasiables.
Quand ils furent rassasiés, l’un s’aperçu qu’il avait perdu un bras dans la bagarre, l’autre une jambe. Ils s’en allèrent comme ils purent, chacun de son côté, avec une profonde blessure dans le cœur et avec une rancune inguérissable dans l’âme, inguérissable du fait de leur mutilation. Bien entendu, un bras, cela repousse à la longue ; une jambe aussi, mais ce n’est jamais la même chose. Même si ça repousse mieux qu’avant. La jambe nouvelle se souvient, le bras nouveau aussi et la guérison complète ne se fera jamais.
Ce sont là des choses qui peuvent arriver à tout humain normalement constitué. Il ne faut donc pas s’étonner que le monde soit plein d’infirmes et plein aussi d’une certaine chose que l’on appelle habituellement amour et que l’on voit vite apparaître sous la forme d’une haine très vive qui se délecte d’elle-même.
C’est un problème agaçant de la vie. Agaçant assez pour que je me rende à Barbebasse consulter mon ami Dieudonné Calf. Voici sa réponse : Heureux les anormaux qui n’ont jamais envie de coucher avec une femme : ils lui font des enfants d’un autre point de vue, des enfants qui courent, rient, dansent et qu’il fait plaisir de voir heureux. Heureuses les anormales qui n’ont jamais envie de coucher avec un homme : elles accouchent du monde.
Dit Calf, ce jour-là, riant comme rire il peut.

COMME L’AIR QUI PASSE

Extrait
HEUREUX LES ANORMAUX

Il y avait une fois une femme qui était mordue de l’envie folle de coucher avec un homme ; cette femme rencontra un homme qui était mordu de l’envie folle de coucher avec une femme. Ça tombait bien ! Aussi tombèrent-ils tous deux dans le panneau grand ouvert des appétits rassasiables.
Quand ils furent rassasiés, l’un s’aperçu qu’il avait perdu un bras dans la bagarre, l’autre une jambe. Ils s’en allèrent comme ils purent, chacun de son côté, avec une profonde blessure dans le cœur et avec une rancune inguérissable dans l’âme, inguérissable du fait de leur mutilation. Bien entendu, un bras, cela repousse à la longue ; une jambe aussi, mais ce n’est jamais la même chose. Même si ça repousse mieux qu’avant. La jambe nouvelle se souvient, le bras nouveau aussi et la guérison complète ne se fera jamais.
Ce sont là des choses qui peuvent arriver à tout humain normalement constitué. Il ne faut donc pas s’étonner que le monde soit plein d’infirmes et plein aussi d’une certaine chose que l’on appelle habituellement amour et que l’on voit vite apparaître sous la forme d’une haine très vive qui se délecte d’elle-même.
C’est un problème agaçant de la vie. Agaçant assez pour que je me rende à Barbebasse consulter mon ami Dieudonné Calf. Voici sa réponse : Heureux les anormaux qui n’ont jamais envie de coucher avec une femme : ils lui font des enfants d’un autre point de vue, des enfants qui courent, rient, dansent et qu’il fait plaisir de voir heureux. Heureuses les anormales qui n’ont jamais envie de coucher avec un homme : elles accouchent du monde.
Dit Calf, ce jour-là, riant comme rire il peut.

Comme l'air qui passe

Michel Seuphor, éditions Jean-Michel Place, Paris, Juillet 1981

Contes batabraf pour les enfants des environs d'Illeux

Michel Seuphor, éditions Scheiwiller, Milan, 1981

CONTES BATABRAF POUR LES ENFANTS DES ENVIRONS D’ILLEUX

Extrait
MOI J’AI VU

As-tu vu des endives sauter comme des carpes ?
Moi, j’ai vu.
As-tu vu des loups féroces tomber à genoux, oui à
genoux, devant une tourterelle ?
Moi, j’ai vu.
As-tu vu le soleil descendre à toute allure, afin
d’être à temps pour le lever du jour ?
Moi, j’ai vu.
As-tu vu les mimosas fleurir en plein hiver ?
Moi, j’ai vu.
As-tu vu le tonnerre tomber sur la terre et n’être
qu’un petit pois ?
Moi, j’ai vu.
As-tu vu le silence avoir la chair de poule ?
Moi, j’ai vu.
As-tu vu la marmelade de pommes s’étendre mol-
-lement sur le gazon parmi les marguerites pour
devenir pommier ?
Moi, j’ai vu.
As-tu vu un maréchal-ferrant ferrer au galop un
cheval de maréchal ?
Moi, j’ai vu.
As-tu vu le coquelicot rougir de plaisir d’être un
coquelicot ?
Moi, j’ai vu.
As-tu vu la mer, l’immense mer, dire gentiment
bonjour à un flocon de neige, un flocon de neige
tout seul, devant le ciel éberlué ?
Moi, j’ai vu.
Moi, j’ai vu.
Moi, j’ai vu.

Contes Batabraf

illustration

Contes Batabraf

illustration

Contes Batabraf

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CONTES BATABRAF POUR LES ENFANTS DES ENVIRONS D’ILLEUX

Extrait
MOI J’AI VU

As-tu vu des endives sauter comme des carpes ?
Moi, j’ai vu.
As-tu vu des loups féroces tomber à genoux, oui à
genoux, devant une tourterelle ?
Moi, j’ai vu.
As-tu vu le soleil descendre à toute allure, afin
d’être à temps pour le lever du jour ?
Moi, j’ai vu.
As-tu vu les mimosas fleurir en plein hiver ?
Moi, j’ai vu.
As-tu vu le tonnerre tomber sur la terre et n’être
qu’un petit pois ?
Moi, j’ai vu.
As-tu vu le silence avoir la chair de poule ?
Moi, j’ai vu.
As-tu vu la marmelade de pommes s’étendre mol-
-lement sur le gazon parmi les marguerites pour
devenir pommier ?
Moi, j’ai vu.
As-tu vu un maréchal-ferrant ferrer au galop un
cheval de maréchal ?
Moi, j’ai vu.
As-tu vu le coquelicot rougir de plaisir d’être un
coquelicot ?
Moi, j’ai vu.
As-tu vu la mer, l’immense mer, dire gentiment
bonjour à un flocon de neige, un flocon de neige
tout seul, devant le ciel éberlué ?
Moi, j’ai vu.
Moi, j’ai vu.
Moi, j’ai vu.

Contes Batabraf

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Contes Batabraf

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Contes Batabraf

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Contes batabraf pour les enfants des environs d'Illeux

Michel Seuphor, éditions Scheiwiller, Milan, 1981

C'est l'évidence même

Michel Seuphor, éditions Jean-Michel Place, Paris, 1982

C’EST L’ÉVIDENCE MÊME

Extrait

Chaque fois que vous découvrirez dans le monde un fil qui pend, vous trouverez aussi quelque chose qui en dépend, même s’il n’y a rien qui soit pendu au fil. Car la dépendance est une loi générale qui ne souffre pas d’exception. Une humeur de dogue, par exemple cela pend à un fil, bien que le dogue ne soit pas du tout visible au bout du fil. Une foule compacte, cela pend à un fil, qui est plutôt un bras de fer dans ce cas, un bras de fer quelquefois aussi mou qu’un élastique, mais l’explosivité de cette même foule – puisqu’elle est destinée à cela, dit-on – est dépendante d’une très subtile effilochure de la texture universelle dont personne ne sait où elle se trouve, dont rien ne laisse prévoir quand elle se rompra par le poids de la masse, ni si elle se rompra, ni en quoi la rupture changera la masse.

De là, je fais un pas qui dépend du plaisir de ma plume. Il pend, il dépend, il se balance sur un pied, puis sur l’autre, la balançoire est en papier.

C’EST L’ÉVIDENCE MÊME

Extrait

Chaque fois que vous découvrirez dans le monde un fil qui pend, vous trouverez aussi quelque chose qui en dépend, même s’il n’y a rien qui soit pendu au fil. Car la dépendance est une loi générale qui ne souffre pas d’exception. Une humeur de dogue, par exemple cela pend à un fil, bien que le dogue ne soit pas du tout visible au bout du fil. Une foule compacte, cela pend à un fil, qui est plutôt un bras de fer dans ce cas, un bras de fer quelquefois aussi mou qu’un élastique, mais l’explosivité de cette même foule – puisqu’elle est destinée à cela, dit-on – est dépendante d’une très subtile effilochure de la texture universelle dont personne ne sait où elle se trouve, dont rien ne laisse prévoir quand elle se rompra par le poids de la masse, ni si elle se rompra, ni en quoi la rupture changera la masse.

De là, je fais un pas qui dépend du plaisir de ma plume. Il pend, il dépend, il se balance sur un pied, puis sur l’autre, la balançoire est en papier.

C'est l'évidence même

Michel Seuphor, éditions Jean-Michel Place, Paris, 1982

Chronique de Barbebasse

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, Février 1983

CHRONIQUE DE BARBEBASSE

Extrait
LA POLITIQUE

– Le monde, dit Calf, c’est quelques personnes, très peu de choses en somme, on en fait vite le tour. Qu’y a-t-il dans une génération ? L’art, la pensée, la science, c’est toujours un petit nombre, une qualité absolument distincte de la quantité courante. Cette quantité, elle ne la qualifie même pas : exceptions.
– Tu dis : l’art, la pensée, la science et tu oublies la politique. Mais peut-être ne l’oublies-tu pas : tu pourrais fort bien l’exclure, je te connais.
Et Calf de répéter :
– oui, l’art, la pensée, la science, c’est quelques personnes dans chaque génération, très peu de choses. La politique, c’est personne.
Il me regarda, eut un hoquet et éclata de rire, un rire furieux qui portait loin.
– Personne ! Dit-il en faisant un large geste qui déblaie.
Six pigeons s’envolèrent ensemble du toit de la maison d’en face et le son vint jusqu’à nous de tout ce qui riait dans Barbebasse, faisant écho au rire de Calf. Car même dans notre village on avait fini par le savoir : personne.
Qu’est-ce qui fait le beau temps ? Un bon moral. Êtes-vous de bonne humeur ce matin ? Le temps qu’il fait importe peu.
Avez-vous l’esprit maussade ? Le soleil n’y peut rien : vous avez voilé en vous le petit réflecteur dont il a besoin pour vous atteindre et qui, parfois, le supplée.

Il n’y a pas de maître, car ils n’enseignent rien – rien que les connaissances livresques qui sont à la disposition de tout le monde.
Mais d’un homme quelconque tu peux apprendre comment on taille la vigne, comment on dit bonjour en Écosse, pourquoi la boulangère a ri.
Les langues vivantes et les langues mortes, tout comme le carré de l’hypothénuse, cela s’apprend tout seul. Tu perds ton temps avec les maîtres, envoie-les au dépôt avec une rente et retourne à tes bouquins, à tes expériences, à tes risques, retrouve ton aventure.

CHRONIQUE DE BARBEBASSE

Extrait
LA POLITIQUE

– Le monde, dit Calf, c’est quelques personnes, très peu de choses en somme, on en fait vite le tour. Qu’y a-t-il dans une génération ? L’art, la pensée, la science, c’est toujours un petit nombre, une qualité absolument distincte de la quantité courante. Cette quantité, elle ne la qualifie même pas : exceptions.
– Tu dis : l’art, la pensée, la science et tu oublies la politique. Mais peut-être ne l’oublies-tu pas : tu pourrais fort bien l’exclure, je te connais.
Et Calf de répéter :
– oui, l’art, la pensée, la science, c’est quelques personnes dans chaque génération, très peu de choses. La politique, c’est personne.
Il me regarda, eut un hoquet et éclata de rire, un rire furieux qui portait loin.
– Personne ! Dit-il en faisant un large geste qui déblaie.
Six pigeons s’envolèrent ensemble du toit de la maison d’en face et le son vint jusqu’à nous de tout ce qui riait dans Barbebasse, faisant écho au rire de Calf. Car même dans notre village on avait fini par le savoir : personne.
Qu’est-ce qui fait le beau temps ? Un bon moral. Êtes-vous de bonne humeur ce matin ? Le temps qu’il fait importe peu.
Avez-vous l’esprit maussade ? Le soleil n’y peut rien : vous avez voilé en vous le petit réflecteur dont il a besoin pour vous atteindre et qui, parfois, le supplée.

Il n’y a pas de maître, car ils n’enseignent rien – rien que les connaissances livresques qui sont à la disposition de tout le monde.
Mais d’un homme quelconque tu peux apprendre comment on taille la vigne, comment on dit bonjour en Écosse, pourquoi la boulangère a ri.
Les langues vivantes et les langues mortes, tout comme le carré de l’hypothénuse, cela s’apprend tout seul. Tu perds ton temps avec les maîtres, envoie-les au dépôt avec une rente et retourne à tes bouquins, à tes expériences, à tes risques, retrouve ton aventure.

Chronique de Barbebasse

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, Février 1983

QUELQUES DESSINS UNILINÉAIRES ILLUSTRANT LA SÉRIE

Citoyens d'Innocence

1977

Talita danse

Mr Thomasson

1977

Calf racontant sa jeunesse

1977

QUELQUES DESSINS UNILINÉAIRES ILLUSTRANT LA SÉRIE

Citoyens d'Innocence

1977

Talita danse

Mr Thomasson

1977

Calf racontant sa jeunesse

1977

Un cirque à soi

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, Décembre 1983

UN CIRQUE À SOI

Extrait
DE LA RELIGION

Il faut de tout pour faire un homme, dit Calf, et certains d’entre nous ont besoin de la religion avec toutes ses pratiques, sa mystique, sa mythologie surannée, pour le développement normal de leurs facultés. Cela fait parti de notre histoire humaine et cette histoire doit être revécue pour être dominée, comme c’est le cas de l’agressivité, par exemple, de l’instinct destructeur, du désir possessif. Il y a des demeures dans lesquelles on peut séjourner très brièvement pour passer au-delà, mais il faut y avoir été. C’est pourquoi les religions demeurent, aujourd’hui encore, un élément très important de la vie du monde. Toutes les religions. Le méconnaître ou vouloir l’ignorer est une pauvreté. Le phénomène est autant néfaste que bienfaisant. Quand le fanatisme s’y joint, l’esprit de clan, le racisme, ces choses négatives uniquement et malfaisantes, l’homme redevient primitif, la raison déraisonne. Il faut vaincre alors la religion, la rejeter toute.

Il reste qu’il est souhaitable, pour chacun de nous, d’en avoir approfondi au moins une au cours de notre existence et de l’avoir intégrée à la vie de chaque jour, de préférence celle qui a imprégné l’histoire du pays dans lequel nous vivons. Cela doit faire parti de notre formation. En s’y refusant on perd plus en intelligence qu’on ne gagne en liberté.

Une religion qui n’est pas pacificatrice des cœurs et des esprits n’est plus que scandales (σχάνδαλον : piège, empêchement) et distributrice de malheur. Dit-il.

UN CIRQUE À SOI

Extrait
DE LA RELIGION

Il faut de tout pour faire un homme, dit Calf, et certains d’entre nous ont besoin de la religion avec toutes ses pratiques, sa mystique, sa mythologie surannée, pour le développement normal de leurs facultés. Cela fait parti de notre histoire humaine et cette histoire doit être revécue pour être dominée, comme c’est le cas de l’agressivité, par exemple, de l’instinct destructeur, du désir possessif. Il y a des demeures dans lesquelles on peut séjourner très brièvement pour passer au-delà, mais il faut y avoir été. C’est pourquoi les religions demeurent, aujourd’hui encore, un élément très important de la vie du monde. Toutes les religions. Le méconnaître ou vouloir l’ignorer est une pauvreté. Le phénomène est autant néfaste que bienfaisant. Quand le fanatisme s’y joint, l’esprit de clan, le racisme, ces choses négatives uniquement et malfaisantes, l’homme redevient primitif, la raison déraisonne. Il faut vaincre alors la religion, la rejeter toute.

Il reste qu’il est souhaitable, pour chacun de nous, d’en avoir approfondi au moins une au cours de notre existence et de l’avoir intégrée à la vie de chaque jour, de préférence celle qui a imprégné l’histoire du pays dans lequel nous vivons. Cela doit faire parti de notre formation. En s’y refusant on perd plus en intelligence qu’on ne gagne en liberté.

Une religion qui n’est pas pacificatrice des cœurs et des esprits n’est plus que scandales (σχάνδαλον : piège, empêchement) et distributrice de malheur. Dit-il.

Un cirque à soi

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, Décembre 1983

Les grands événements

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, Juin 1984

LES GRANDS ÉVÉNEMENTS

Extrait
GENÈSE

Je me souviens parfaitement du jour, de l’heure, si loin que ce soit dans le passé troublé, ennuagé, couvert de débris informes. J’avais fui une nouvelle fois dans le désert, dans le désert qui m’appartient en propre. C’était un mardi cinq, sous la constellation du Tigre nain. Je résolus, sur l’heure, de faire un trou. Un trou dans le désert. C’était risqué. Tout acte insolite est risqué. Que faire contre soi-même ? Ce trou, subitement, était pour moi d’une absolue nécessité. Pourquoi ? Je ne sais pas. De quel pourquoi sait-on pourquoi ?

J’aime le désert. Ce n’est que là que je me sens parfaitement chez moi. Pas tellement à cause de l’horizon sans ratures, ni pour la calvitie superbe, ni même pour le silence. Ce qui m’enchante dans le désert, c’est son nom même qui le dit : la dé–sersion, l’absence d’in–sertion, je veux dire l’absence de ce trop de tout qui est partout ailleurs envahissant et contre lequel il n’y a nulle défense sinon la fuite. Stérilisons tout cela !

Je fais un grand salut à toutes ces fleurs jolies à ces polyphonies, à ces sagesses superposées, à ces discours sur l’hémisphère australe et son Iphigénie, à Poplixe, à Pataquaz, au foutoir de Proufiladouque et je tourne la page 311. Ouf ! Me voilà devant le vide enfin, la naissance est à moi, l’innocence du rien, seule la lumière inonde ma nudité. Le désastre du monde m’a livré le désert, je me retrouve, je respire à l’aise.

Chez moi mais avec moi, car c’est moi-même que je transporte. Et c’est pour cela, justement, que je me mets à creuser, creuser étant la chose la plus naturelle du monde, dès lors que c’est moi. Je creuse, donc je suis.

Un trou dans le désert, un rien dans rien. En reste-t-il une trace seulement aussitôt que le vent se lève ? Qu’à cela ne tienne : j’ai ponctué le désert, il ne m’en faut pas plus.

LES GRANDS ÉVÉNEMENTS

Extrait
GENÈSE

Je me souviens parfaitement du jour, de l’heure, si loin que ce soit dans le passé troublé, ennuagé, couvert de débris informes. J’avais fui une nouvelle fois dans le désert, dans le désert qui m’appartient en propre. C’était un mardi cinq, sous la constellation du Tigre nain. Je résolus, sur l’heure, de faire un trou. Un trou dans le désert. C’était risqué. Tout acte insolite est risqué. Que faire contre soi-même ? Ce trou, subitement, était pour moi d’une absolue nécessité. Pourquoi ? Je ne sais pas. De quel pourquoi sait-on pourquoi ?

J’aime le désert. Ce n’est que là que je me sens parfaitement chez moi. Pas tellement à cause de l’horizon sans ratures, ni pour la calvitie superbe, ni même pour le silence. Ce qui m’enchante dans le désert, c’est son nom même qui le dit : la dé–sersion, l’absence d’in–sertion, je veux dire l’absence de ce trop de tout qui est partout ailleurs envahissant et contre lequel il n’y a nulle défense sinon la fuite. Stérilisons tout cela !

Je fais un grand salut à toutes ces fleurs jolies à ces polyphonies, à ces sagesses superposées, à ces discours sur l’hémisphère australe et son Iphigénie, à Poplixe, à Pataquaz, au foutoir de Proufiladouque et je tourne la page 311. Ouf ! Me voilà devant le vide enfin, la naissance est à moi, l’innocence du rien, seule la lumière inonde ma nudité. Le désastre du monde m’a livré le désert, je me retrouve, je respire à l’aise.

Chez moi mais avec moi, car c’est moi-même que je transporte. Et c’est pour cela, justement, que je me mets à creuser, creuser étant la chose la plus naturelle du monde, dès lors que c’est moi. Je creuse, donc je suis.

Un trou dans le désert, un rien dans rien. En reste-t-il une trace seulement aussitôt que le vent se lève ? Qu’à cela ne tienne : j’ai ponctué le désert, il ne m’en faut pas plus.

Les grands événements

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, Juin 1984

Telle une journée de mars

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, Novembre 1984

TELLE UNE JOURNÉE DE MARS

Extrait
PETIT CONTE DE LA GUERRE TOUT LASSE

Quatre tambours majors

de la guerre tout lasse
allaient dire au roi d’As
que la gloire était morte,
morte hier au soir
à la bataille du lac,
la dernière des batailles
de la guerre tout lasse.
– Sire, lui dirent-il, la gloire est morte.
– Et moi, dit le roi d’As,
je vous mets à la porte.
C’est à ce moment
que le corps mort de la gloire
tomba du haut du catafalque
juste pour coincer la porte.
– Halte-là ! cria le roi
pas de charogne au palais,
que diraient mes sujets.
La gloire, je la veux plaisante
et bien en chair, moi.
Mais le cadavre resta
planté debout
comme il était tombé
au milieu de la porte.
C’est qu’elle devait rester ouverte
cette porte
maintenant et toujours
afin que tout un chacun
puisse voir très librement
le dedans et le dehors des choses,
le dehors du dedans,
le dedans du dehors,
à partir du soir précisément
de la bataille du lac,
la dernière des batailles
de la guerre de tout lasse.
Le cadavre cependant
de la gloire morte
se mit à sentir très fort,
l’histoire étant l’histoire
et mémorable.
L’air fétide des batailles perdues
et des batailles gagnées
avec tout le sang répandu,
mal réchauffé,
devenant très vite irrespirable.
– Si j’avais su tout ça !
dit le roi d’As
en prenant la fuite
avec son auréole massive
et toute sa suite.
Si j’avais su tout ça…
Et comment aurait-il pu savoir,
ce roi des rois,
ce tout-puissant seigneur
de la guerre et du reste,
cet être divin adoré de ses peuples,
comment aurait-il pu savoir,
les narines bouchées par tant d’adulation,
que –morte ou vivante, anémique ou dodue
– la gloire pue ?

TELLE UNE JOURNÉE DE MARS

Extrait
PETIT CONTE DE LA GUERRE TOUT LASSE

Quatre tambours majors

de la guerre tout lasse
allaient dire au roi d’As
que la gloire était morte,
morte hier au soir
à la bataille du lac,
la dernière des batailles
de la guerre tout lasse.
– Sire, lui dirent-il, la gloire est morte.
– Et moi, dit le roi d’As,
je vous mets à la porte.
C’est à ce moment
que le corps mort de la gloire
tomba du haut du catafalque
juste pour coincer la porte.
– Halte-là ! cria le roi
pas de charogne au palais,
que diraient mes sujets.
La gloire, je la veux plaisante
et bien en chair, moi.
Mais le cadavre resta
planté debout
comme il était tombé
au milieu de la porte.
C’est qu’elle devait rester ouverte
cette porte
maintenant et toujours
afin que tout un chacun
puisse voir très librement
le dedans et le dehors des choses,
le dehors du dedans,
le dedans du dehors,
à partir du soir précisément
de la bataille du lac,
la dernière des batailles
de la guerre de tout lasse.
Le cadavre cependant
de la gloire morte
se mit à sentir très fort,
l’histoire étant l’histoire
et mémorable.
L’air fétide des batailles perdues
et des batailles gagnées
avec tout le sang répandu,
mal réchauffé,
devenant très vite irrespirable.
– Si j’avais su tout ça !
dit le roi d’As
en prenant la fuite
avec son auréole massive
et toute sa suite.
Si j’avais su tout ça…
Et comment aurait-il pu savoir,
ce roi des rois,
ce tout-puissant seigneur
de la guerre et du reste,
cet être divin adoré de ses peuples,
comment aurait-il pu savoir,
les narines bouchées par tant d’adulation,
que –morte ou vivante, anémique ou dodue
– la gloire pue ?

Telle une journée de mars

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, Novembre 1984

Rivière

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, Juin 1985

RIVIÈRE

Extrait
PETIT BAZAR

Et qu’attends-tu, dit Calf, pour me conter quelqu’un de tes contes ronds ? Il n’aime pas la sagesse qui rend maussade. Le savoir ennuyeux, pour lui, est valeur nulle. Alors il me demande comme ça, à brûle pourpoint, que je lui chante quelque chose de mon cru.

Car il a besoin, lui aussi, de diversion. Comment lui refuser ? Je pris mon ocarina au-dedans de ma bouche, celui qui a tant déjoué de mauvais sorts, tant concassé de noirs gravats, je laissai les vaguelettes jouer sur le sable et je lui fis l’aubade de mon petit bazar (…).

RIVIÈRE

Extrait
PETIT BAZAR

Et qu’attends-tu, dit Calf, pour me conter quelqu’un de tes contes ronds ? Il n’aime pas la sagesse qui rend maussade. Le savoir ennuyeux, pour lui, est valeur nulle. Alors il me demande comme ça, à brûle pourpoint, que je lui chante quelque chose de mon cru.

Car il a besoin, lui aussi, de diversion. Comment lui refuser ? Je pris mon ocarina au-dedans de ma bouche, celui qui a tant déjoué de mauvais sorts, tant concassé de noirs gravats, je laissai les vaguelettes jouer sur le sable et je lui fis l’aubade de mon petit bazar (…).

Rivière

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, Juin 1985

Ciel neuf

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, Novembre 1985

Ciel neuf

Manuscrit

CIEL NEUF

Extrait
CIEL NEUF

1

Ô ma petite échelle
ma toute belle petite échelle
pour monter je ne sais où
très haut
jusqu’aux étoiles…

et à chaque échelon
que je grimpe
elle s’enfonce d’autant
dans cette terre molle
sous l’effet de mon poids

si bien que
je me retrouve toujours
où nous sommes tous
n’est-ce pas
à ras du sol.

2

Au lieu de vouloir
grimper toujours
à mon échelle
si je la laissais seule
si je la plantais-là
la toute belle
en m’efforçant de devenir
léger
comme une plume

alors sans doute
je ne m’enfoncerais plus
dans cette molle terre
à cause de mon poids
je volerais avec la gent ailée
parmi le ciel

La terre
du coup
me serait bien plus aimable
elle me ferait l’effet
de n’être qu’un perchoir

3

Ne pas peser
tel est bien le secret
abattre tous ces murs
et ces retranchements
effacer les bastides
annuler les ferrailles les cadenas
et les superstructures
renoncer à ces armures superbes
et à ces ornements.

Tout est enfin ouvert
tu n’as pas gardé l’ombre d’une offensive
pas même un souvenir
Voilà que peut entrer
par tous les pores de ton être
le volatile esprit (…)

CIEL NEUF

Extrait
CIEL NEUF

1

Ô ma petite échelle
ma toute belle petite échelle
pour monter je ne sais où
très haut
jusqu’aux étoiles…

et à chaque échelon
que je grimpe
elle s’enfonce d’autant
dans cette terre molle
sous l’effet de mon poids

si bien que
je me retrouve toujours
où nous sommes tous
n’est-ce pas
à ras du sol.

2

Au lieu de vouloir
grimper toujours
à mon échelle
si je la laissais seule
si je la plantais-là
la toute belle
en m’efforçant de devenir
léger
comme une plume

alors sans doute
je ne m’enfoncerais plus
dans cette molle terre
à cause de mon poids
je volerais avec la gent ailée
parmi le ciel

La terre
du coup
me serait bien plus aimable
elle me ferait l’effet
de n’être qu’un perchoir

3

Ne pas peser
tel est bien le secret
abattre tous ces murs
et ces retranchements
effacer les bastides
annuler les ferrailles les cadenas
et les superstructures
renoncer à ces armures superbes
et à ces ornements.

Tout est enfin ouvert
tu n’as pas gardé l’ombre d’une offensive
pas même un souvenir
Voilà que peut entrer
par tous les pores de ton être
le volatile esprit (…)

Ciel neuf

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, Novembre 1985

Ciel neuf

Manuscrit

Tous jours et toutes heures

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, Avril 1986

TOUS JOURS ET TOUTES HEURES

Extrait
L’ÉCHELLE DE POPLIXE

Au premier échelon, il se sent au niveau qui est réellement le sien.
Au second échelon, il est bien plus à l’aise pour parler.
Au troisième échelon, il voit que Pataquaz est plus petit que lui et il comprend maintenant pourquoi son collègue est souvent si brusque et si cruel : il est trop petit pour comprendre son ami, son frère.
Pauvre Pataquaz qui se croit philosophe !
Au quatrième échelon, il rencontre toutes les sources de la sagesse et il savoure la pureté de l’air.
Au cinquième échelon, il sent en lui des forces cachées qui sont en vérité énormes et capables de réels prodiges et il s’étonne que les gens ne le voient pas, car on le traite comme s’il était un enfant, un enfant que l’on peut même rudoyer, et cela lui fait voir combien le monde est injuste et méchant.
Au sixième échelon, il est réellement poète, il navigue à l’aise dans les arcanes de l’Hermès trismégiste, il sait le fin mot de la querelle entre les lucmacsifrages et les quacsitchatrides, il parle dix-sept langues et une langouste.
Au septième échelon, il sait qu’il est un oiseau rare de la plus belle espèce et qu’il laisse derrière lui une œuvre immense d’auteur méconnu qui n’a pu s’exprimer parce que les temps étaient mauvais et que le pape était son ennemi.
Au huitième échelon, il contemple le monde et il le trouve un peu mesquin, un peu trop bon marché pour lui, d’ailleurs il n’en fait qu’une bouchée.
Au neuvième échelon, il ne sait que faire des ailes qu’il a et qui poussent sans cesse, qui, finalement, sont égales à l’horizon même.
Au dixième échelon, il salue les étoiles très fraternellement.
Au onzième échelon, il voit que la Lune est là, tout près, qu’il n’a que le bras à tendre.
Au douzième échelon, il tombe de haut.
Au treizième échelon, il n’y a plus de Poplixe et il n’y a plus d’échelle.

TOUS JOURS ET TOUTES HEURES

Extrait
L’ÉCHELLE DE POPLIXE

Au premier échelon, il se sent au niveau qui est réellement le sien.
Au second échelon, il est bien plus à l’aise pour parler.
Au troisième échelon, il voit que Pataquaz est plus petit que lui et il comprend maintenant pourquoi son collègue est souvent si brusque et si cruel : il est trop petit pour comprendre son ami, son frère.
Pauvre Pataquaz qui se croit philosophe !
Au quatrième échelon, il rencontre toutes les sources de la sagesse et il savoure la pureté de l’air.
Au cinquième échelon, il sent en lui des forces cachées qui sont en vérité énormes et capables de réels prodiges et il s’étonne que les gens ne le voient pas, car on le traite comme s’il était un enfant, un enfant que l’on peut même rudoyer, et cela lui fait voir combien le monde est injuste et méchant.
Au sixième échelon, il est réellement poète, il navigue à l’aise dans les arcanes de l’Hermès trismégiste, il sait le fin mot de la querelle entre les lucmacsifrages et les quacsitchatrides, il parle dix-sept langues et une langouste.
Au septième échelon, il sait qu’il est un oiseau rare de la plus belle espèce et qu’il laisse derrière lui une œuvre immense d’auteur méconnu qui n’a pu s’exprimer parce que les temps étaient mauvais et que le pape était son ennemi.
Au huitième échelon, il contemple le monde et il le trouve un peu mesquin, un peu trop bon marché pour lui, d’ailleurs il n’en fait qu’une bouchée.
Au neuvième échelon, il ne sait que faire des ailes qu’il a et qui poussent sans cesse, qui, finalement, sont égales à l’horizon même.
Au dixième échelon, il salue les étoiles très fraternellement.
Au onzième échelon, il voit que la Lune est là, tout près, qu’il n’a que le bras à tendre.
Au douzième échelon, il tombe de haut.
Au treizième échelon, il n’y a plus de Poplixe et il n’y a plus d’échelle.

Tous jours et toutes heures

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, Avril 1986

La cinquième roue

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, Novembre 1986

LA CINQUIÈME ROUE

Extrait
LE GOÛT DE LA VIE
Toujours je célébrerai la vie.
Vos grands cimetières ne m’intéressent pas
ni vos anniversaires.
C’est la vie qui a commencé
c’est la vie qui continue
c’est la vie qui aujourd’hui
fait ce qu’il faut faire
la vie–
la grande nouvelle de chaque jour
la nouveauté qui s’offre à chaque heure
de chaque jour–
la vie.

Vous dites qu’elle n’a pas toujours bon goût.
Cela tient à vos épices
laissez-la au naturel
laissez-la sans artifices
ne l’excitez pas
laissez- la faire son petit jeu
n’en attendez rien que ce jeu même
vous verrez toutes les couleurs
vous aurez l’art bientôt
de savourer toutes les nuances
vous en tirerez sans effort
des plats et des bosses
des monts et des merveilles.

Vous consommez l’éternité.

LA CINQUIÈME ROUE

Extrait
LE GOÛT DE LA VIE
Toujours je célébrerai la vie.
Vos grands cimetières ne m’intéressent pas
ni vos anniversaires.
C’est la vie qui a commencé
c’est la vie qui continue
c’est la vie qui aujourd’hui
fait ce qu’il faut faire
la vie–
la grande nouvelle de chaque jour
la nouveauté qui s’offre à chaque heure
de chaque jour–
la vie.

Vous dites qu’elle n’a pas toujours bon goût.
Cela tient à vos épices
laissez-la au naturel
laissez-la sans artifices
ne l’excitez pas
laissez- la faire son petit jeu
n’en attendez rien que ce jeu même
vous verrez toutes les couleurs
vous aurez l’art bientôt
de savourer toutes les nuances
vous en tirerez sans effort
des plats et des bosses
des monts et des merveilles.

Vous consommez l’éternité.

La cinquième roue

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, Novembre 1986

Solfège

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, Avril 1987

Solfège

Réédition Rougerie, Mortemart, 1997

SOLFÈGE

Extrait
SOLFÈGE DU PETIT MATIN

1

Mais ce qui compte finalement
c’est d’y aller
d’un pas un peu distrait
sans préjugé
au bord d’en rire
la larme à l’œil
et l’œil en pointe
pour tout de suite piquer
le rare oiseau
qui se présente à l’aube
ou juste après la grande alarme
de quinze heure vingt.
Il y a cet animal pas gai
pourtant
qui colle à tes talons
où que tu ailles
qui mord tes fesses
et te les met en sang
tandis que tu lui pètes au nez.
C’est ta seule violence
et c’est la seule justice qui soit.

SOLFÈGE

Extrait
SOLFÈGE DU PETIT MATIN

1

Mais ce qui compte finalement
c’est d’y aller
d’un pas un peu distrait
sans préjugé
au bord d’en rire
la larme à l’œil
et l’œil en pointe
pour tout de suite piquer
le rare oiseau
qui se présente à l’aube
ou juste après la grande alarme
de quinze heure vingt.
Il y a cet animal pas gai
pourtant
qui colle à tes talons
où que tu ailles
qui mord tes fesses
et te les met en sang
tandis que tu lui pètes au nez.
C’est ta seule violence
et c’est la seule justice qui soit.

Solfège

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, Avril 1987

Solfège

Réédition Rougerie, Mortemart, 1997

QUELQUES DESSINS UNILINÉAIRES ILLUSTRANT LA SÉRIE

Talita danse

Dolittle Thinkmore

1977

Vrac en France

Calf jouant sur un instrument invisible

1977

QUELQUES DESSINS UNILINÉAIRES ILLUSTRANT LA SÉRIE

Talita danse

Dolittle Thinkmore

1977

Vrac en France

Calf jouant sur un instrument invisible

1977

Reçus de la nuit

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, Septembre 1987

REÇUS DE LA NUIT

Extrait
À MALOUSTA KALIMERA

Vivre est chose inespérée, inattendue, pleine d’étranges accidents, et chacun vit sa vie en dépit du bon sens, car il y a un sens meilleur que le bon sens et qui nous semble insensé, mais c’est lui qui gouverne ; il y a une raison plus juste que la raison quand on regarde de loin, et c’est elle qui agit ; il y a une beauté bien plus belle que la beauté qui se sait telle, quand on observe du fond de soi, et c’est elle qui suscite en nous cette émotion qui ne s’exprime pas. Il y a une sagesse qui paraît folie à celui qui peut la regarder dans le fond des yeux. Il y a une immobilité qui va plus loin, beaucoup plus loin que les grands voyageurs cosmopolites. Je parle, ici, de la gestion de l’économie du monde : elle est faite d’un ordre qui se moque des bourrasques et des révolutions, qui traverse lentement toutes les colères du ciel. Un ordre de grand danseur qui nous paraît scabreux, incrédible, affabulé et qui retombe sur ses pieds toujours, finalement, accompagnant le champ inouï de l’harmonie universelle.

Malousta, c’est de toi que je tiens ce puits de vérité. Tu n’as eu qu’à paraître, venant des hauts plateaux, et j’ai tout deviné.
Le désert de Calf et la mémoire de tes calmes sommets ne me quitteront plus.
Tu es la force et la candeur, Malousta.
Toute la nature se résume en toi et tu n’aspires qu’à être le résumé d’un résumé. Ce qui veut dire que tu es dans le blanc, et tu es blanc sur blanc, il n’y a pas une couleur, pas une nuance qui ne soit comprise là-dedans.
Je t’ai rêvée trente ans, Malousta ; maintenant que tu es là, permets que je te chante.
Tu es l’esprit vacant, rétif à tous les dogmes, possédant la mesure comme un don naturel et l’intuition du juste.
Laisse-moi savourer ton ignorance. Elle a plus de savoir réel que les têtes bourrées des doctes professionnels.
Imprime sur moi le sceau de ta gentillesse.
Apprends-moi à sourire à l’eau, au vent, à la feuille qui tombe. Toi seule peux me conduire dans ce lieu béni qui s’appelle l’enfance de l’esprit.
Donne-moi la main et me voilà où je veux être.

REÇUS DE LA NUIT

Extrait
À MALOUSTA KALIMERA

Vivre est chose inespérée, inattendue, pleine d’étranges accidents, et chacun vit sa vie en dépit du bon sens, car il y a un sens meilleur que le bon sens et qui nous semble insensé, mais c’est lui qui gouverne ; il y a une raison plus juste que la raison quand on regarde de loin, et c’est elle qui agit ; il y a une beauté bien plus belle que la beauté qui se sait telle, quand on observe du fond de soi, et c’est elle qui suscite en nous cette émotion qui ne s’exprime pas. Il y a une sagesse qui paraît folie à celui qui peut la regarder dans le fond des yeux. Il y a une immobilité qui va plus loin, beaucoup plus loin que les grands voyageurs cosmopolites. Je parle, ici, de la gestion de l’économie du monde : elle est faite d’un ordre qui se moque des bourrasques et des révolutions, qui traverse lentement toutes les colères du ciel. Un ordre de grand danseur qui nous paraît scabreux, incrédible, affabulé et qui retombe sur ses pieds toujours, finalement, accompagnant le champ inouï de l’harmonie universelle.

Malousta, c’est de toi que je tiens ce puits de vérité. Tu n’as eu qu’à paraître, venant des hauts plateaux, et j’ai tout deviné.
Le désert de Calf et la mémoire de tes calmes sommets ne me quitteront plus.
Tu es la force et la candeur, Malousta.
Toute la nature se résume en toi et tu n’aspires qu’à être le résumé d’un résumé. Ce qui veut dire que tu es dans le blanc, et tu es blanc sur blanc, il n’y a pas une couleur, pas une nuance qui ne soit comprise là-dedans.
Je t’ai rêvée trente ans, Malousta ; maintenant que tu es là, permets que je te chante.
Tu es l’esprit vacant, rétif à tous les dogmes, possédant la mesure comme un don naturel et l’intuition du juste.
Laisse-moi savourer ton ignorance. Elle a plus de savoir réel que les têtes bourrées des doctes professionnels.
Imprime sur moi le sceau de ta gentillesse.
Apprends-moi à sourire à l’eau, au vent, à la feuille qui tombe. Toi seule peux me conduire dans ce lieu béni qui s’appelle l’enfance de l’esprit.
Donne-moi la main et me voilà où je veux être.

Reçus de la nuit

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, Septembre 1987

Le rire de Calf

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, 1988

Le rire de Calf

Dessin unilinéaire, Seuphor, 1980

LE RIRE DE CALF

Extrait
LE RIRE DE CALF

En ce temps-là, plus que jamais, le rire de Calf résonnait sur Barbebasse. Riait-il pour lui-même ? Riait-t-il pour l’écho ? De quoi riait-il tant ? Malgré l’étrangeté du fait, toujours nouveau, nous nous y étions habitués et personne ne se posait plus de questions. Quand un phénomène tend à se répéter on finit, malgré le choc, à ne plus en chercher la cause : il a droit de cité. Mais pour les visiteurs, étrangers à Barbebasse, c’était tout autre chose.

Quelle est cette maison qui s’effondre ? Me demandait l’un d’eux. Un autre croyait qu’il y avait, tout près, une rivière à cataractes, un autre entendait un oiseau bizarre, une machine à vapeur, une foule…
Et qu’en dirai-je, moi qui l’entends depuis les antécalandes de l’an quarante-cinq ? Car c’est alors que Monsieur Loffrande entreprit sa campagne électorale et que Calf rit pour la première fois, tant l’événement était comique, et que nous tous, assistants, en reçûmes les éclats dans la face.
Le rire de Calf. Tout le mystère de l’âme se libère soudain dans un chiffre secret. C’est un idéogramme sonore qui ne se lit pas mais se comprend. Il est très incongru de rire de la sorte. Non solet. Une gorge déployée n’est pas chose convenable. Ne peut-il donc pas se maîtriser, cet homme ? Il n’y pense même pas, mais il ne voudrait pas s’il y pensait. C’est son démon qui chante ainsi. S’il ne lui laissait pas la parole, de temps à autre, il étoufferait en lui-même, il se ligoterait dans un pouvoir excessif sur soi et se réduirait à être bientôt aussi sec qu’une noix.
Mais le rire de Calf ce n’est pas seulement une délivrance, une accélération subite des énergies secrètes, il opère une catharsis sur tout son environnement. On respire mieux en l’entendant, on chante en chœur avec lui. L’écouteur attentif subit comme une hypnose, il entre en Calfomanie. Une révolution a lieu, un tremblement de terre, une avalanche, des choses plus inattendues encore. Au cours des ans, j’en ai dressé le catalogue. J’en livre ici quelques extraits :

Deux chevaliers se battent debout dans leurs armures, et les étincelles qui en surgissent forment le rire de Calf. Un chaos questionnaire, menaçant, est tout à coup vaincu par le soleil et il n’y a plus aucune question.
Un monde surgit d’un monde, s’étale, devient musique et tout le reste se tait.

Les gonds cassés de dix mille portes crient.
Seen that nutshell with an huricane in it ?*
Voilà que se révèle vie inouïe et qui répond à l’inouï qui palpite dans le cœur de chacun.
Pur cri d’homme sur fond d’âme solide et pacifique.
Wut schamhaft schwegt das schwache Lamm**.
Une brûlure que la vie peut encore ajouter à la vie quand elle n’est pas chair seulement.

Cet univers qui se révèle veut faire l’oracle d’un univers inexpliqué.
Le rire de Calf est neuf, toujours tout neuf, c’est la grande nouveauté des temps.
C’est le dernier pansement de la pensée, c’est le comment d’aujourd’hui avec son vaste sanctuaire, conçu pour faire écho à tous les sons.

* As-tu vu cette coquille de noix avec un ouragan dedans ?
** La colère honteuse avale le faible agneau

LE RIRE DE CALF

Extrait
LE RIRE DE CALF

En ce temps-là, plus que jamais, le rire de Calf résonnait sur Barbebasse. Riait-il pour lui-même ? Riait-t-il pour l’écho ? De quoi riait-il tant ? Malgré l’étrangeté du fait, toujours nouveau, nous nous y étions habitués et personne ne se posait plus de questions. Quand un phénomène tend à se répéter on finit, malgré le choc, à ne plus en chercher la cause : il a droit de cité. Mais pour les visiteurs, étrangers à Barbebasse, c’était tout autre chose.

Quelle est cette maison qui s’effondre ? Me demandait l’un d’eux. Un autre croyait qu’il y avait, tout près, une rivière à cataractes, un autre entendait un oiseau bizarre, une machine à vapeur, une foule…
Et qu’en dirai-je, moi qui l’entends depuis les antécalandes de l’an quarante-cinq ? Car c’est alors que Monsieur Loffrande entreprit sa campagne électorale et que Calf rit pour la première fois, tant l’événement était comique, et que nous tous, assistants, en reçûmes les éclats dans la face.
Le rire de Calf. Tout le mystère de l’âme se libère soudain dans un chiffre secret. C’est un idéogramme sonore qui ne se lit pas mais se comprend. Il est très incongru de rire de la sorte. Non solet. Une gorge déployée n’est pas chose convenable. Ne peut-il donc pas se maîtriser, cet homme ? Il n’y pense même pas, mais il ne voudrait pas s’il y pensait. C’est son démon qui chante ainsi. S’il ne lui laissait pas la parole, de temps à autre, il étoufferait en lui-même, il se ligoterait dans un pouvoir excessif sur soi et se réduirait à être bientôt aussi sec qu’une noix.
Mais le rire de Calf ce n’est pas seulement une délivrance, une accélération subite des énergies secrètes, il opère une catharsis sur tout son environnement. On respire mieux en l’entendant, on chante en chœur avec lui. L’écouteur attentif subit comme une hypnose, il entre en Calfomanie. Une révolution a lieu, un tremblement de terre, une avalanche, des choses plus inattendues encore. Au cours des ans, j’en ai dressé le catalogue. J’en livre ici quelques extraits :

Deux chevaliers se battent debout dans leurs armures, et les étincelles qui en surgissent forment le rire de Calf. Un chaos questionnaire, menaçant, est tout à coup vaincu par le soleil et il n’y a plus aucune question.
Un monde surgit d’un monde, s’étale, devient musique et tout le reste se tait.

Les gonds cassés de dix mille portes crient.
Seen that nutshell with an huricane in it ?*
Voilà que se révèle vie inouïe et qui répond à l’inouï qui palpite dans le cœur de chacun.
Pur cri d’homme sur fond d’âme solide et pacifique.
Wut schamhaft schwegt das schwache Lamm**.
Une brûlure que la vie peut encore ajouter à la vie quand elle n’est pas chair seulement.

Cet univers qui se révèle veut faire l’oracle d’un univers inexpliqué.
Le rire de Calf est neuf, toujours tout neuf, c’est la grande nouveauté des temps.
C’est le dernier pansement de la pensée, c’est le comment d’aujourd’hui avec son vaste sanctuaire, conçu pour faire écho à tous les sons.

* As-tu vu cette coquille de noix avec un ouragan dedans ?
** La colère honteuse avale le faible agneau

Le rire de Calf

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, 1988

Le rire de Calf

Dessin unilinéaire, Seuphor, 1980

Le bénéfice du jour

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, Avril 1990

LE BÉNÉFICE DU JOUR

Extrait

Le mystère, par les appels de la science, s’agrandit et ne diminue jamais. Cependant l’esprit peut se donner du jeu, et voilà tout à coup le mystère délesté d’une partie de son poids : il ne menace plus. Bientôt c’est lui qui viendra te voir pour jouer avec toi.

Il y a vint cinq siècles, quelques personnes de ce monde, tant à l’Est qu’à l’Ouest, s’interrogeaient sur le sens des choses. Maintenant encore, quelques personnes de ce monde, tant à l’Est qu’à l’Ouest, s’interrogent sur le sens des choses. Dans vingt-cinq siècles, quelques personnes de ce monde, tant à l’Est qu’à l’Ouest, s’interrogeront encore sur le sens des choses.
Si tu peux concevoir des liens d’amour, d’un amour plus profond que l’amour, entre ces quelques personnes, tant à l’Est qu’à l’Ouest, voilà ton paradis.

LE BÉNÉFICE DU JOUR

Extrait

Le mystère, par les appels de la science, s’agrandit et ne diminue jamais. Cependant l’esprit peut se donner du jeu, et voilà tout à coup le mystère délesté d’une partie de son poids : il ne menace plus. Bientôt c’est lui qui viendra te voir pour jouer avec toi.

Il y a vint cinq siècles, quelques personnes de ce monde, tant à l’Est qu’à l’Ouest, s’interrogeaient sur le sens des choses. Maintenant encore, quelques personnes de ce monde, tant à l’Est qu’à l’Ouest, s’interrogent sur le sens des choses. Dans vingt-cinq siècles, quelques personnes de ce monde, tant à l’Est qu’à l’Ouest, s’interrogeront encore sur le sens des choses.
Si tu peux concevoir des liens d’amour, d’un amour plus profond que l’amour, entre ces quelques personnes, tant à l’Est qu’à l’Ouest, voilà ton paradis.

Le bénéfice du jour

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, Avril 1990

Biens

Michel Seuphor, éditions Convergence,
Nantes, Décembre 1990
Extraits repris dans Musique à Dhiananda,
Éditions Rougerie, Mortemart, 1996

BIENS

Extrait
POUR TE SERVIR

L’imagination est la plus
sublime des voies d’accès
à l’inconnaissable.

IBN’ARABI

Car le moment arrive
inévitablement
où l’on en a assez de tout cela
assez jusqu’au vromix
assez jusqu’au clopotz.
Et où aller quand en tout lieu
on trouve toujours le même schloumaps
dans la même bramerie de pastèques ?

Sache donc
Ô toi blême jouisseur du trop de tout
Ô toi mal enjoué mortel
que tu pourras trouver refuge toujours
dans la lumière
la très douce
si tu veux bien y aller voir
en toi-même
si tu veux bien te fier
à ce qui n’a pas de poids
qui ne ressemble à rien
et qui est rien précisément
pour te servir.

Peut-être la très douce
pour te servir
te mènera en promenade
dans autre chose
qui n’est pas chose du tout.
Peut-être la très douce
pour te servir
te permettra de joindre
le simple et très puissant fanal
la source de tout le délectable.

Et te voilà soudainement
sans nulle histoire
sans même une demande
l’invité de la splendeur
te voilà
humain sans assiette solide
le commensal de l’insondé
te voilà très simplement uni
comme un ami de vieille date
avec le donateur
avec l’unique cause.

Tu régneras alors avec ton souverain
Si tu es capable
d’avoir les yeux très grands ouverts
sur cette calme infinité
tu régneras avec lui
sur tout cela.

Car tout cela
n’est qu’un reflet finalement
si tu regardes bien
si tu sais boire à cette source
tout cela n’est qu’un reflet
de la très pure lumière
qui a aussi sa place en toi
secrètement
pour te servir.

BIENS

Extrait
POUR TE SERVIR

L’imagination est la plus
sublime des voies d’accès
à l’inconnaissable.

IBN’ARABI

Car le moment arrive
inévitablement
où l’on en a assez de tout cela
assez jusqu’au vromix
assez jusqu’au clopotz.
Et où aller quand en tout lieu
on trouve toujours le même schloumaps
dans la même bramerie de pastèques ?

Sache donc
Ô toi blême jouisseur du trop de tout
Ô toi mal enjoué mortel
que tu pourras trouver refuge toujours
dans la lumière
la très douce
si tu veux bien y aller voir
en toi-même
si tu veux bien te fier
à ce qui n’a pas de poids
qui ne ressemble à rien
et qui est rien précisément
pour te servir.

Peut-être la très douce
pour te servir
te mènera en promenade
dans autre chose
qui n’est pas chose du tout.
Peut-être la très douce
pour te servir
te permettra de joindre
le simple et très puissant fanal
la source de tout le délectable.

Et te voilà soudainement
sans nulle histoire
sans même une demande
l’invité de la splendeur
te voilà
humain sans assiette solide
le commensal de l’insondé
te voilà très simplement uni
comme un ami de vieille date
avec le donateur
avec l’unique cause.

Tu régneras alors avec ton souverain
Si tu es capable
d’avoir les yeux très grands ouverts
sur cette calme infinité
tu régneras avec lui
sur tout cela.

Car tout cela
n’est qu’un reflet finalement
si tu regardes bien
si tu sais boire à cette source
tout cela n’est qu’un reflet
de la très pure lumière
qui a aussi sa place en toi
secrètement
pour te servir.

Biens

Michel Seuphor, éditions Convergence,
Nantes, Décembre 1990
Extraits repris dans Musique à Dhiananda,
Éditions Rougerie, Mortemart, 1996

D’Où vient ? Où va ?

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes 1991
Extraits repris dans Musique à Dhiananda
Éditions Rougerie, Mortemart, 1996

D’OÙ VIENT ? OÙ VA ?

Extrait
LE SATTVA DE DHIANANDA

1

La lumière sans fin
est une présence sans fin.
Tu fermes simplement les yeux :
elle s’offre à toi
dans toute sa puissance
dans toute son innocence
avec toute sa douceur.
Le monde quotidien l’exclu.
Il est soudé
à la lumière artificielle
de son faux jour.
Sans nul ménagement
le réveil de chaque matin
nous projette dans le labyrinthe.
Alors s’allument nos lampes de poche
pour chercher une issue
à cette confusion.
Le cerveau est martelé
de questions absurdes
auxquelles coûte que coûte
il nous faut une réponse.
Nous voilà querelleurs
nous voilà en guerre
entourés d’ennemis
car mêmes ceux qui pensent comme nous
aurons une nuance à défendre
et la vanité a toujours été
la chose la mieux partagée
dans l’univers humain.
Ferme donc tes volets
rabaisse tes paupières
complais-toi dans l’autre présence.
Elle ne revendique pas
elle ne te demande rien
il n’y a aucune ruse en elle
aucune arrière-pensée
elle ne tient aucun compte
de tes mécomptes avec le jour
elle est simplement disponible.
Disponible pour cautériser tes plaies
disponible pour te soulager
des poids que tu portes
disponible pour te consoler
disponible pour retrouver
le chant paisible de ta respiration
la juste mesure du battement de ton cœur
disponible pourrait être aimée –
et n’aime-t-elle pas elle-même
sans condition
ce qu’elle éclaire ?

D’OÙ VIENT ? OÙ VA ?

Extrait
LE SATTVA DE DHIANANDA

1

La lumière sans fin
est une présence sans fin.
Tu fermes simplement les yeux :
elle s’offre à toi
dans toute sa puissance
dans toute son innocence
avec toute sa douceur.
Le monde quotidien l’exclu.
Il est soudé
à la lumière artificielle
de son faux jour.
Sans nul ménagement
le réveil de chaque matin
nous projette dans le labyrinthe.
Alors s’allument nos lampes de poche
pour chercher une issue
à cette confusion.
Le cerveau est martelé
de questions absurdes
auxquelles coûte que coûte
il nous faut une réponse.
Nous voilà querelleurs
nous voilà en guerre
entourés d’ennemis
car mêmes ceux qui pensent comme nous
aurons une nuance à défendre
et la vanité a toujours été
la chose la mieux partagée
dans l’univers humain.
Ferme donc tes volets
rabaisse tes paupières
complais-toi dans l’autre présence.
Elle ne revendique pas
elle ne te demande rien
il n’y a aucune ruse en elle
aucune arrière-pensée
elle ne tient aucun compte
de tes mécomptes avec le jour
elle est simplement disponible.
Disponible pour cautériser tes plaies
disponible pour te soulager
des poids que tu portes
disponible pour te consoler
disponible pour retrouver
le chant paisible de ta respiration
la juste mesure du battement de ton cœur
disponible pourrait être aimée –
et n’aime-t-elle pas elle-même
sans condition
ce qu’elle éclaire ?

D’Où vient ? Où va ?

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes 1991
Extraits repris dans Musique à Dhiananda
Éditions Rougerie, Mortemart, 1996

Sans faire le moindre bruit

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes 1992
Extraits repris dans Musique à Dhiananda
Éditions Rougerie, Mortemart, 1996

SANS FAIRE LE MOINDRE BRUIT

Extrait

VI

Que ta porte soit ouverte et généreusement ouverte sans la moindre réticence. Car il importe qu’il y ait, chez toi, un va-et-vient du monde, et quelque soit la vulgarité, la fatigue ou la perplexité qu’il t’apporte: il instruit les antennes de l’esprit, il nourrit le fond de ton être pensif, il apporte des preuves supplémentaires, il interdit que tu t’endormes sur un acquis qui n’est jamais que provisoire.
Toucher le monde, il te faut. Malgré l’insulte même qu’il peut être à ta face, malgré la plus cruelle humiliation. Il n’y a pas de croissance sans le contact sensible de la pourriture.

VII
Jordinave
Clobestan
Citadelle
Loup

Pasmirave
Kirmasoule
Doladille
Toux

Sinsonetta
Mirmosetta
Kalmavasa
Naf

SANS FAIRE LE MOINDRE BRUIT

Extrait

VI

Que ta porte soit ouverte et généreusement ouverte sans la moindre réticence. Car il importe qu’il y ait, chez toi, un va-et-vient du monde, et quelque soit la vulgarité, la fatigue ou la perplexité qu’il t’apporte: il instruit les antennes de l’esprit, il nourrit le fond de ton être pensif, il apporte des preuves supplémentaires, il interdit que tu t’endormes sur un acquis qui n’est jamais que provisoire.
Toucher le monde, il te faut. Malgré l’insulte même qu’il peut être à ta face, malgré la plus cruelle humiliation. Il n’y a pas de croissance sans le contact sensible de la pourriture.

VII
Jordinave
Clobestan
Citadelle
Loup

Pasmirave
Kirmasoule
Doladille
Toux

Sinsonetta
Mirmosetta
Kalmavasa
Naf

Sans faire le moindre bruit

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes 1992
Extraits repris dans Musique à Dhiananda
Éditions Rougerie, Mortemart, 1996

Le temps des Eftinoux

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes Décembre 1994

LE TEMPS DES EFTINOUX

Extrait
LUXES

Une patience

un silence
un sourire
semés
dans un peu de boue.
Cela germe quelquefois pour devenir une forêt
une plantation.

Tel solide cavalier
tombe de cheval
à point donné
afin qu’il puisse aller à pied
beaucoup plus loin.

Une émotion
comme le frémissement d’une eau
qui cuit une bagatelle
pourrait fort bien accoucher
d’une montagne
dont la cime se perd
dans une immense générosité.

Englués dans de molles habitudes
nous oublions
que chaque jour de la vie
il y a un risque à courir
une prudence à sauver.

Souffre
mais ne te blesse pas.
Que la confiance en toi
soit ta justice immanente.

Distribuer ses produits
d’un geste toujours égal
en petite tenue de bain.

LE TEMPS DES EFTINOUX

Extrait
LUXES

Une patience

un silence
un sourire
semés
dans un peu de boue.
Cela germe quelquefois pour devenir une forêt
une plantation.

Tel solide cavalier
tombe de cheval
à point donné
afin qu’il puisse aller à pied
beaucoup plus loin.

Une émotion
comme le frémissement d’une eau
qui cuit une bagatelle
pourrait fort bien accoucher
d’une montagne
dont la cime se perd
dans une immense générosité.

Englués dans de molles habitudes
nous oublions
que chaque jour de la vie
il y a un risque à courir
une prudence à sauver.

Souffre
mais ne te blesse pas.
Que la confiance en toi
soit ta justice immanente.

Distribuer ses produits
d’un geste toujours égal
en petite tenue de bain.

Le temps des Eftinoux

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes Décembre 1994

Le cirque Anouss

Michel Seuphor, éditions Ergo Pers, Gand, 1996

LE CIRQUE ANOUSS

Extrait
Car il n’est pas un homme
qui n’ait secrètement en lui
le sens de ce qui veut durer
le sens d’une structure qui le dépasse
qui est présentement
conscience de demain.

Mais cette conscience dort
chez la plupart
et le tumulte du monde
empêche le réveil.

Tout est fait dans le monde
Climouste
pour te distraire de l’essentiel.
Car construire est faire
un monde autre
est faire un monde
neuf que le vieux monde redoute
comme la mort.

LE CIRQUE ANOUSS

Extrait
Car il n’est pas un homme
qui n’ait secrètement en lui
le sens de ce qui veut durer
le sens d’une structure qui le dépasse
qui est présentement
conscience de demain.

Mais cette conscience dort
chez la plupart
et le tumulte du monde
empêche le réveil.

Tout est fait dans le monde
Climouste
pour te distraire de l’essentiel.
Car construire est faire
un monde autre
est faire un monde
neuf que le vieux monde redoute
comme la mort.

Le cirque Anouss

Michel Seuphor, éditions Ergo Pers, Gand, 1996

Malcout im Chekinah

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, 1996

MALCOUT IM CHEKINAH

Extrait
UNE OUVERTURE DE CALF

Nous naissons et nous mourons sans savoir que nous naissons, que nous mourons. Entre les deux, la vie nous est donnée sans que nous l’ayons demandée, espérée, voulue, désirée. Présent royal cependant dont il s’agit de faire usage, auquel il faudra faire honneur avec nos capacités, qui sont diverses et nombreuses pour chaque humain. Que la mort ne nous occupe donc pas, même si elle rôde autour de nous : elle est ce qui n’est pas. Et si la vie, un jour, s’achève, elle continue dans d’autres où nous aurons semé en étant simplement ce que nous sommes. C’est la vie immortelle qui nous héberge, qui nous nourrit, qui nous permet d’être créateur selon la chair et selon l’esprit. A nous de n’en pas gaspiller les jours, les heures, les instants. Car, avec la vie, nous sommes dans l’éternité. Offrons-lui le plein usage de notre liberté. Une liberté truffée d’une curiosité toujours insatisfaite. Car nous sommes, tout le long de notre existence, les apprentis du savoir. Dit Calf.

MALCOUT IM CHEKINAH

Extrait
UNE OUVERTURE DE CALF

Nous naissons et nous mourons sans savoir que nous naissons, que nous mourons. Entre les deux, la vie nous est donnée sans que nous l’ayons demandée, espérée, voulue, désirée. Présent royal cependant dont il s’agit de faire usage, auquel il faudra faire honneur avec nos capacités, qui sont diverses et nombreuses pour chaque humain. Que la mort ne nous occupe donc pas, même si elle rôde autour de nous : elle est ce qui n’est pas. Et si la vie, un jour, s’achève, elle continue dans d’autres où nous aurons semé en étant simplement ce que nous sommes. C’est la vie immortelle qui nous héberge, qui nous nourrit, qui nous permet d’être créateur selon la chair et selon l’esprit. A nous de n’en pas gaspiller les jours, les heures, les instants. Car, avec la vie, nous sommes dans l’éternité. Offrons-lui le plein usage de notre liberté. Une liberté truffée d’une curiosité toujours insatisfaite. Car nous sommes, tout le long de notre existence, les apprentis du savoir. Dit Calf.

Malcout im Chekinah

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, 1996

Terrasses

Michel Seuphor, éditions Ergo Pers, Gand,1998

TERRASSES

Extrait
LE PLUS BEAU DES OURS BLANC

Un petit ours blanc qui vivait dans la société des ours blancs, tous impeccables, avait un défaut que les autres ignoraient : il était jaloux. De quoi ? De tout. Depuis quand faut-il une raison d’être jaloux ? Les hommes le sont presque tous. Pour rien. Chez les ours blancs c’est plus rare. Cela donnait au nôtre une petite touffe de poils noirs sous l’œil gauche du plus charmant effet. Les autres auraient pu le jalouser, avec raison pour une fois mais ils l’admiraient et ils le respectaient pour cette ostensible exception qui le signalait au monde comme une merveille de la nature. Le malheur pour cet animal singulier c’est que son défaut secret lui donnait mauvaise conscience, état mental qui se répercutait sur le physique en lui paralysant la patte gauche. Il s’en trouvait fortement gêné dans la natation. Un jour, dans l’eau, il ne pût plus bouger du tout et la pauvre bête fut mangée par ceux qui, habituellement, étaient sa nourriture.

La société des ours blancs fut profondément bouleversée par cette subite disparition. Dès lors, le museau à la petite tache noire fut, pour tous les ours, l’exemple, la légende, l’utopie, voire la doctrine métaphysique de la race des ours blancs, devenue presque humaine. L’éducation des ours blancs fut toute centrée sur la petite touffe de poils noirs baptisés Rimitilt. Il en résulta que, finalement, pas un ours blanc ne vint au monde sans l’obsessionnelle inégalité de Rimitilt. Et il fallut bien reconnaître que le calme majestueux des ours blancs et leur démarche lente, rassurée, était l’expression même de leur naturel philosophique, légèrement matiné de mysticisme.
Je ne tirerai aucune moralité de cette histoire car aucun, parmi les ours, n’est dans le secret. Et qui oserait deviner que, sous le nom de Rimitilt ou de Charamatasse, un défaut sans importance puisse devenir le bien majeur de tout un peuple, qu’un monstre dévorant se cache parfois dans la plus quotidienne banalité ?

TERRASSES

Extrait
LE PLUS BEAU DES OURS BLANC

Un petit ours blanc qui vivait dans la société des ours blancs, tous impeccables, avait un défaut que les autres ignoraient : il était jaloux. De quoi ? De tout. Depuis quand faut-il une raison d’être jaloux ? Les hommes le sont presque tous. Pour rien. Chez les ours blancs c’est plus rare. Cela donnait au nôtre une petite touffe de poils noirs sous l’œil gauche du plus charmant effet. Les autres auraient pu le jalouser, avec raison pour une fois mais ils l’admiraient et ils le respectaient pour cette ostensible exception qui le signalait au monde comme une merveille de la nature. Le malheur pour cet animal singulier c’est que son défaut secret lui donnait mauvaise conscience, état mental qui se répercutait sur le physique en lui paralysant la patte gauche. Il s’en trouvait fortement gêné dans la natation. Un jour, dans l’eau, il ne pût plus bouger du tout et la pauvre bête fut mangée par ceux qui, habituellement, étaient sa nourriture.

La société des ours blancs fut profondément bouleversée par cette subite disparition. Dès lors, le museau à la petite tache noire fut, pour tous les ours, l’exemple, la légende, l’utopie, voire la doctrine métaphysique de la race des ours blancs, devenue presque humaine. L’éducation des ours blancs fut toute centrée sur la petite touffe de poils noirs baptisés Rimitilt. Il en résulta que, finalement, pas un ours blanc ne vint au monde sans l’obsessionnelle inégalité de Rimitilt. Et il fallut bien reconnaître que le calme majestueux des ours blancs et leur démarche lente, rassurée, était l’expression même de leur naturel philosophique, légèrement matiné de mysticisme.
Je ne tirerai aucune moralité de cette histoire car aucun, parmi les ours, n’est dans le secret. Et qui oserait deviner que, sous le nom de Rimitilt ou de Charamatasse, un défaut sans importance puisse devenir le bien majeur de tout un peuple, qu’un monstre dévorant se cache parfois dans la plus quotidienne banalité ?

Terrasses

Michel Seuphor, éditions Ergo Pers, Gand,1998

« Une longue vie
est à elle-même sa légende.
Qui sait voir de si loin
la fin de son commencement ?
On invente des ponts
on supprime des déserts.
Ceux qui te combattirent
sont ôtés de l’histoire.
L’esprit habile
invente une raison d’être
à chaque aspérité du chemin.
Un mythe se compose tout naturellement
de tes réminiscences.
Il faut que le miel coule
partout où tu passas.
Le vrai le faux
sont des monosyllabes.
Fais-les chanter
afin qu’ils sonnent beaux. »

Extrait de Terrasses, Michel Seuphor, éditions Ergo Pers, Gand,1998

« Une longue vie
est à elle-même sa légende.
Qui sait voir de si loin
la fin de son commencement ?
On invente des ponts
on supprime des déserts.
Ceux qui te combattirent
sont ôtés de l’histoire.
L’esprit habile
invente une raison d’être
à chaque aspérité du chemin.
Un mythe se compose tout naturellement
de tes réminiscences.
Il faut que le miel coule
partout où tu passas.
Le vrai le faux
sont des monosyllabes.
Fais-les chanter
afin qu’ils sonnent beaux. »

Extrait de Terrasses, Michel Seuphor,
éditions Ergo Pers, Gand,1998

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