POÉSIE,
ESSAIS POÉTIQUES OU MORAUX

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« Ce que j’écris en prose correcte demande à être compris tout de suite. Ce que j’écris en composant un poème, ce que je fais en dessinant, ne pose pas cette exigence ni ne demande cette correction. Dans la prose il m’est interdit de sortir du domaine analytique et raisonnable. Dans la poésie, au contraire je suis sommé d’en sortir pour entrer dans l’absurde ou dans le sur-raisonnable. Si je dispose d’une entière liberté de penser lorsque je rédige mon discours analytique, je dispose d’une autre liberté, d’une bien plus profonde liberté, dans la fonction qui produit l’œuvre d’art. Dans le premier cas j’utilise des moyens d’expression existants et je me plie à leurs lois, dans le second j’invente un langage et ses moyens d’expression même. Cela ne signifie nullement que je fuis la discipline : je la crée. »

Le commerce de l’art
Michel Seuphor, Desclée De Brouwer,
1966, p 151

Pourquoi tant de lumière sur tant de cendre ?

21 Septembre 1960

Pourquoi tant de lumière sur tant de cendre ?

21 Septembre 1960

« Ce que j’écris en prose correcte demande à être compris tout de suite. Ce que j’écris en composant un poème, ce que je fais en dessinant, ne pose pas cette exigence ni ne demande cette correction. Dans la prose il m’est interdit de sortir du domaine analytique et raisonnable. Dans la poésie, au contraire je suis sommé d’en sortir pour entrer dans l’absurde ou dans le sur-raisonnable. Si je dispose d’une entière liberté de penser lorsque je rédige mon discours analytique, je dispose d’une autre liberté, d’une bien plus profonde liberté, dans la fonction qui produit l’œuvre d’art. Dans le premier cas j’utilise des moyens d’expression existants et je me plie à leurs lois, dans le second j’invente un langage et ses moyens d’expression même. Cela ne signifie nullement que je fuis la discipline : je la crée. »

Le commerce de l’art
Michel Seuphor, Desclée De Brouwer,
1966, p 151

CARNET BRIC À BRAC

Carnet bric à brac

Het Overzicht, Anvers, 1924

SEUPHOR EN OR

Seuphor en Or

Het Overzicht, Anvers, 1923

CARNET BRIC À BRAC

Carnet bric à brac

Het Overzicht, Anvers, 1924

SEUPHOR EN OR

Seuphor en Or

Het Overzicht, Anvers, 1923

TE PARIJS EN TROMBE

Te Parijs en Trombe

Het Overzicht, Anvers, 1924
+ Voir galerie revues

CABARET – MARIAGE FILMÉ

Cabaret – Mariage Filmé

Het Overzicht, Anvers, 1923
Réédité par les Bibliophiles Alésiens, Alès, 1946

TE PARIJS EN TROMBE

Te Parijs en Trombe

Het Overzicht, Anvers, 1924
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CABARET – MARIAGE FILMÉ

Cabaret – Mariage Filmé

Het Overzicht, Anvers, 1923
Réédité par les Bibliophiles Alésiens, Alès, 1946

Diaphragme intérieur et un drapeau

Les écrivains réunis, Paris, 1926
Réédition Convergence, Nantes, 1984
Réédition Rougerie, Mortemart, 1994

Diaphragme intérieur et un drapeau

Couverture Rougerie

DIAPHRAGME INTÉRIEUR ET UN DRAPEAU

Extraits

« Je touche de mon front le front de la nature

et je rêve dans ses yeux
un grand ciel bleu
pour la fauvette
fait la buvette au biberon
et un nuage de lait

je jette à l’eau de beaux cailloux et bravement

j’imite le mouton qui bêle
et le mouton m’imite qui bêle

Les nuages n’ont qu’un sourire indulgent
Dieu et ses anges attendent le thé

(explication d’une vie)
tout fuit
le nez le front et le menton
les yeux seuls conquérants
possèdent des biens terrestres
adieu… »

DIAPHRAGME INTÉRIEUR ET UN DRAPEAU

Extraits

« Je touche de mon front le front de la nature

et je rêve dans ses yeux
un grand ciel bleu
pour la fauvette
fait la buvette au biberon
et un nuage de lait

je jette à l’eau de beaux cailloux et bravement

j’imite le mouton qui bêle
et le mouton m’imite qui bêle

Les nuages n’ont qu’un sourire indulgent
Dieu et ses anges attendent le thé

(explication d’une vie)
tout fuit
le nez le front et le menton
les yeux seuls conquérants
possèdent des biens terrestres
adieu… »

Diaphragme intérieur et un drapeau

Les écrivains réunis, Paris, 1926
Réédition Convergence, Nantes, 1984
Réédition Rougerie, Mortemart, 1994

Diaphragme intérieur et un drapeau

Couverture Rougerie

Lecture élémentaire

Première édition
(1926-1927), Paris, les Écrivains réunis, 1928.

Lecture élémentaire

Réédition Rougerie, Mortemart, 1989.

LECTURE ÉLÉMENTAIRE

L’ÉCRITURE DE LECTURE ÉLÉMENTAIRE RACONTÉE PAR MICHEL SEUPHOR :

« En 1926 et 1927, j’ai écrit tout ce qui me faisait chanter avec une liberté totale, définitive et éternelle. Ça a donné tout un recueil, que j’avais tapé avec ma petite Corona et que j’avais d’abord intitulé Premier livre de lecture, parce que j’avais été très amoureux des petits livres de mes jeunes sœurs qui portaient le même titre, et ça, pour moi, c’était la révélation de la poésie la plus pure :

« Charley a un jardinet
un roitelet l’habite … »
Quel délice ! C’est pour cela que j’avais emprunté ce titre. La philosophie de cet ouvrage, qui s’est ensuite appelé Lecture élémentaire, c’est l’ultra simplicité dans les petites choses, loin des grands systèmes. Le retour aux sources.»

Michel Seuphor, Un siècle de liberté
1996

Extrait

« Tout le monde est très intelligent et tout le monde
le sait et tout le monde est très intéressant et
tout le monde le sait et tout le monde comprend
et tout le monde comprend à demi mot car
rien n’est plus facile.
Or il est plus aisé plus convenable aussi de dire dieu
sait quoi que de dire ce que dieu sait et qu’il
est souvent seul à savoir à savoir ce que tout
le monde ignore.
et dans les écritures aussi
ne rien comprendre tout saisir
au vol ou par la queue
mais saisissez »

LECTURE ÉLÉMENTAIRE

L’ÉCRITURE DE LECTURE ÉLÉMENTAIRE RACONTÉE PAR MICHEL SEUPHOR :

« En 1926 et 1927, j’ai écrit tout ce qui me faisait chanter avec une liberté totale, définitive et éternelle. Ça a donné tout un recueil, que j’avais tapé avec ma petite Corona et que j’avais d’abord intitulé Premier livre de lecture, parce que j’avais été très amoureux des petits livres de mes jeunes sœurs qui portaient le même titre, et ça, pour moi, c’était la révélation de la poésie la plus pure :

« Charley a un jardinet
un roitelet l’habite … »
Quel délice ! C’est pour cela que j’avais emprunté ce titre. La philosophie de cet ouvrage, qui s’est ensuite appelé Lecture élémentaire, c’est l’ultra simplicité dans les petites choses, loin des grands systèmes. Le retour aux sources.»

Michel Seuphor, Un siècle de liberté
1996

Extrait

« Tout le monde est très intelligent et tout le monde
le sait et tout le monde est très intéressant et
tout le monde le sait et tout le monde comprend
et tout le monde comprend à demi mot car
rien n’est plus facile.
Or il est plus aisé plus convenable aussi de dire dieu
sait quoi que de dire ce que dieu sait et qu’il
est souvent seul à savoir à savoir ce que tout
le monde ignore.
et dans les écritures aussi
ne rien comprendre tout saisir
au vol ou par la queue
mais saisissez »

Lecture élémentaire

Première édition
(1926-1927), Paris, les Écrivains réunis, 1928.

Lecture élémentaire

Réédition Rougerie, Mortemart, 1989.

Dans le royaume du cœur

Éditions Corréa, Paris, 1935

Extrait de presse

DANS LE ROYAUME DU COEUR

Extrait
BIOGRAPHIE

« Les cris de joie de mes frères et de mes sœurs jouant ensemble dans le grand parc qui s’étend derrière la maison. … Maison dont la réalité m’est douce, maison que Dieu bénit (c’est très visible) et dont mon rêve s’émeut. Les grandes personnes, les importants du siècle se trouvent à l’intérieur, dans les salons, buvant, mangeant, dansant, tenant de graves propos dont on ne sait pas ce qu’ils valent ni ce qu’ils signifient.
Et moi je suis assis, tout seul, sur le perron de la porte comme une semence tombée sur le chemin. Pourquoi ? Je suis si peu mondain, si peu danseur, si peu brillant causeur et j’ai la voix si peu sonore parmi les ors de leurs salons, parmi leur bel aplomb. Serais-je le gardien de la maison peut-être ? Je tiens les clefs, en effet, mais il faut qu’ils ignorent que je les tiens : ils me mettraient à mort ou, pour le moins, me chasseraient. Et que ferais-je de mes clefs ? Or j’ai les clefs, et je connais déjà bien des secrets de la demeure et du jardin. On a bien ri, on a placé de jolis mots, pourront-ils dire demain. Soirée tout à fait réussie. Ils compteront les bouteilles et les gâteaux et le nombre de côtelettes, et pendant quinze jours il ne sera question que de cela.
Mais ils n’ont pas interrogé le ciel.
Ils n’ont pas vu le météore. »

DANS LE ROYAUME DU COEUR

Extrait
BIOGRAPHIE

« Les cris de joie de mes frères et de mes sœurs jouant ensemble dans le grand parc qui s’étend derrière la maison. … Maison dont la réalité m’est douce, maison que Dieu bénit (c’est très visible) et dont mon rêve s’émeut. Les grandes personnes, les importants du siècle se trouvent à l’intérieur, dans les salons, buvant, mangeant, dansant, tenant de graves propos dont on ne sait pas ce qu’ils valent ni ce qu’ils signifient.
Et moi je suis assis, tout seul, sur le perron de la porte comme une semence tombée sur le chemin. Pourquoi ? Je suis si peu mondain, si peu danseur, si peu brillant causeur et j’ai la voix si peu sonore parmi les ors de leurs salons, parmi leur bel aplomb. Serais-je le gardien de la maison peut-être ? Je tiens les clefs, en effet, mais il faut qu’ils ignorent que je les tiens : ils me mettraient à mort ou, pour le moins, me chasseraient. Et que ferais-je de mes clefs ? Or j’ai les clefs, et je connais déjà bien des secrets de la demeure et du jardin. On a bien ri, on a placé de jolis mots, pourront-ils dire demain. Soirée tout à fait réussie. Ils compteront les bouteilles et les gâteaux et le nombre de côtelettes, et pendant quinze jours il ne sera question que de cela.
Mais ils n’ont pas interrogé le ciel.
Ils n’ont pas vu le météore. »

Extrait de presse

Dans le royaume du cœur

Éditions Corréa, Paris, 1935

Discours aux enfants

Éditions Vitte, Lyon, 1935

DISCOURS AUX ENFANTS

Extrait

« Et non seulement vous pouvez tout comprendre (pourvu qu’on vous le dise simplement, sans routine cérébrale), mais il est admirable aussi qu’on puisse vous parler à la fois avec le cœur et avec l’intelligence.

Car vous êtes un être complet, vous êtes l’être complet même. Plus tard, les êtres se différencient plus nettement, chacun va son chemin, développant telle ou telle saillie de son caractère et laissant tout le reste en friche. Celui-ci se donne au culte de l’art, celui-là à l’étude aride, un troisième se marie et ne vit plus que pour sa famille, un autre encore se fait moine et abandonne tout pour pratiquer les plus austères vertus. Ainsi chacun se spécialise et tout va tellement se fractionnant, que même l’intelligence et le cœur, qui forment la véritable unité de notre être, se détachent l’un de l’autre et ne vivent que rarement en équilibre dans une même personne, plus rarement encore dans une même idée, une même œuvre.

Chez vous, enfants, rien n’est en friche, rien n’est à l’abandon ; partout votre terrain est vivace, et toutes vos qualités – toutes les qualités de l’homme – sont activement en présence dans votre petit être. Vous êtes l’homme complet, le tout en un. »

DISCOURS AUX ENFANTS

Extrait

« Et non seulement vous pouvez tout comprendre (pourvu qu’on vous le dise simplement, sans routine cérébrale), mais il est admirable aussi qu’on puisse vous parler à la fois avec le cœur et avec l’intelligence.

Car vous êtes un être complet, vous êtes l’être complet même. Plus tard, les êtres se différencient plus nettement, chacun va son chemin, développant telle ou telle saillie de son caractère et laissant tout le reste en friche. Celui-ci se donne au culte de l’art, celui-là à l’étude aride, un troisième se marie et ne vit plus que pour sa famille, un autre encore se fait moine et abandonne tout pour pratiquer les plus austères vertus. Ainsi chacun se spécialise et tout va tellement se fractionnant, que même l’intelligence et le cœur, qui forment la véritable unité de notre être, se détachent l’un de l’autre et ne vivent que rarement en équilibre dans une même personne, plus rarement encore dans une même idée, une même œuvre.

Chez vous, enfants, rien n’est en friche, rien n’est à l’abandon ; partout votre terrain est vivace, et toutes vos qualités – toutes les qualités de l’homme – sont activement en présence dans votre petit être. Vous êtes l’homme complet, le tout en un. »

Discours aux enfants

Éditions Vitte, Lyon, 1935

L’ARDENTE PAIX

L’ardente paix

Les Cahiers du Journal des poètes, Bruxelles, 1936

L’ARDENTE PAIX

L’ardente paix

Les Cahiers du Journal des poètes, Bruxelles, 1936.

Tout dire

Michel Seuphor, éditions du Pavois, Paris, 1945

TOUT DIRE

Extrait

« Modestie. Il faut avoir conscience de sa valeur, s’estimer au juste prix. Ensuite, admettre tout le monde à son niveau, donner à chacun le même crédit qu’à soi.
J’écouterai le marmiton avec la même attention, le même effort de compréhension que je donne au philosophe en chef de la Sorbonne. Si je suis plus que le marmiton dans l’ordre de la société, c’est parce que la société le veut et non pas moi. Devant moi, nous sommes égaux.

J’accepterai sans manière la première place si on me l’offre. Mais là où il y a cohue, je me retire du jeu de coude et je prends la dernière. S’humilier, se mettre soi-même plus bas que terre est une comédie dont personne n’est dupe. Il fut un temps où le mépris de soi-même donnait lieu à de belles prosopopées. Mais nous savons que chacun s’aime beaucoup. Et cela est bien.
Non pas se mépriser : se vaincre. Se mépriser est triste, se vaincre est joyeux. Se vaincre et s’éduquer afin de se donner un jour toute liberté, toute franchise. Se recevoir soi-même de soi et pouvoir se regarder dans le fond des yeux : « toi, mon bonhomme, je sais ce que tu dois à toi. »

TOUT DIRE

Extrait

« Modestie. Il faut avoir conscience de sa valeur, s’estimer au juste prix. Ensuite, admettre tout le monde à son niveau, donner à chacun le même crédit qu’à soi.
J’écouterai le marmiton avec la même attention, le même effort de compréhension que je donne au philosophe en chef de la Sorbonne. Si je suis plus que le marmiton dans l’ordre de la société, c’est parce que la société le veut et non pas moi. Devant moi, nous sommes égaux.

J’accepterai sans manière la première place si on me l’offre. Mais là où il y a cohue, je me retire du jeu de coude et je prends la dernière. S’humilier, se mettre soi-même plus bas que terre est une comédie dont personne n’est dupe. Il fut un temps où le mépris de soi-même donnait lieu à de belles prosopopées. Mais nous savons que chacun s’aime beaucoup. Et cela est bien.
Non pas se mépriser : se vaincre. Se mépriser est triste, se vaincre est joyeux. Se vaincre et s’éduquer afin de se donner un jour toute liberté, toute franchise. Se recevoir soi-même de soi et pouvoir se regarder dans le fond des yeux : « toi, mon bonhomme, je sais ce que tu dois à toi. »

Tout dire

Michel Seuphor, éditions du Pavois, Paris, 1945

Papiers d’Henri Mezonges.
Trouvés dans sa valise après sa mort

Éditions Les Bibliophiles Alésiens, Alès, 1947
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PAPIER D’HENRI MEZONGES. TROUVÉS APRÈS SA MORT

Les papiers d’Henri Mézonges sont des notes de carnet écrites par Seuphor à Anduze en 1942, en vue de son ouvrage « Le visage de Senlis » et imprimées pour la première fois à Alès, en juin 1947, par les bibliophiles Alésiens.

Extrait

« Portrait d’homme. Tout en dehors et tout en dedans, ouvert et fermé ; éventé, en désordre, abandonné à tous, mais révélant dans un regard d’inouïes réserves de force – il avait le visage du vent. »

Extrait

« J’ai navigué un peu et n’ai pas eu les yeux dans ma poche. J’ai vu que les bons chrétiens, c’est de la foutaise, et le pape dans son Vatican, de la foutaise, et les moines dans leur couvent, de la foutaise, et les politiciens dans leur théâtre, de la foutaise, et les écrivains dans leur gloire, de la foutaise, et les artistes chez leurs marchands de la foutaise, et les journaux et les revues littéraires, de la foutaise et du bluff, de la mousse sur du compost, c’est tout trucage, combine et artifice. Henri Mézonges est mort, envoyez-moi des condoléances. Il n’y a plus qu’une bouche qui crache. Qui crache sur le beau monde. Et je sais que, maintenant, je vais avoir des amis, car je suis enfin dans le vrai, j’accomplis la seule action qui soit profondément véridique et équitable : je crache. »

PAPIER D’HENRI MEZONGES. TROUVÉS APRÈS SA MORT

Papiers d’Henri Mezonges.
Trouvés dans sa valise après sa mort

Éditions Les Bibliophiles Alésiens, Alès, 1947
+ Voir galerie romans

Les papiers d’Henri Mézonges sont des notes de carnet écrites par Seuphor à Anduze en 1942, en vue de son ouvrage « Le visage de Senlis » et imprimées pour la première fois à Alès, en juin 1947, par les bibliophiles Alésiens.

Extrait

« Portrait d’homme. Tout en dehors et tout en dedans, ouvert et fermé ; éventé, en désordre, abandonné à tous, mais révélant dans un regard d’inouïes réserves de force – il avait le visage du vent. »

Extrait

« J’ai navigué un peu et n’ai pas eu les yeux dans ma poche. J’ai vu que les bons chrétiens, c’est de la foutaise, et le pape dans son Vatican, de la foutaise, et les moines dans leur couvent, de la foutaise, et les politiciens dans leur théâtre, de la foutaise, et les écrivains dans leur gloire, de la foutaise, et les artistes chez leurs marchands de la foutaise, et les journaux et les revues littéraires, de la foutaise et du bluff, de la mousse sur du compost, c’est tout trucage, combine et artifice. Henri Mézonges est mort, envoyez-moi des condoléances. Il n’y a plus qu’une bouche qui crache. Qui crache sur le beau monde. Et je sais que, maintenant, je vais avoir des amis, car je suis enfin dans le vrai, j’accomplis la seule action qui soit profondément véridique et équitable : je crache. »

La vocation des mots

Recueil de poèmes composés de 1925 à 1964
Éditions Hanc, Lausanne, 1966

Réédition Rougerie, Mortemart, 1993

LA VOCATION DES MOTS

Extrait

« Un poème est un objet singulier. Il vise à être un monde complet en soi, séparé de toute littérature. Son élément de base n’est ni l’idée ni la phrase, mais le mot. C’est autour du mot que le poème se construit tout entier.

Faut-il dire que le mot est d’abord un son, que c’est la voix humaine qui le prononce ? Oui, il faut le dire, car beaucoup de poètes l’oublient. Les mots eux-mêmes pourtant ne l’oublient pas. Ils savent qu’ils ont été d’abord des appels, des cris, des signes oraux de reconnaissance. Ainsi la vocation des mots c’est leur vocalise même.

Le mot est un être sonore. Ne pas vouloir en tenir compte–comme font ceux qui condamnent l’allitération, par exemple–c’est aller contre le jeu, contre la liberté, faute majeure en poésie.

Le poète s’entend, il s’entend chanter. Et il demande qu’on l’entende chanter. Le poème écrit est une notation musicale.

Le mot vient de la voix humaine et il retourne à la voix humaine dans le poème – quel que soit le dédale de la sémantique qu’il ait pu suivre.

Construit  avec des mots, autour des mots, les éléments d’apparence disparates qui composent le poème convergent vers un même centre et tendent à la somme. Si le poème est insensé pour l’esprit c’est qu’il lui suffit d’être évident pour l’oreille. Même sensé pour l’esprit il est bon qu’il le surprenne, il a tout loisir de le choquer, de le dérouter. Soliloque, il porte en lui l’écho de mille voix. Voix de la rue et voix intimes, murmures secrets, clameurs. La plus grande candeur sera la plus grande éloquence.

Il serait néfaste que le poème eût peur des mots. Il doit se servir de tous, des plus usés et des plus neufs. Et si la langue la plus proche ne peut, sur le champ, lui donner ce qu’il lui faut, il doit, sur-le-champ, inventer le mot requis, le son requis, il peut, sur-le-champ, inventer une langue nouvelle. Aucune des lois qui régissent la prose n’a cours, sauf le rythme, devenu souverain.

Si le poème exclut la peur des mots il exclut également la peur des gens. Que rien ne l’intimide ! Et si certaines personnes ne peuvent le reconnaître, c’est parce qu’il est simple et nu. Et si d’autres prennent la fuite en le voyant, c’est parce qu’il est simple et nu. Et si d’autres encore éprouvent un plaisir étrange, c’est parce qu’il est simple et nu. Aucun moyen de l’habiller.

Pas d’hermétismes, ni triturations de métaphores, de mythologies : ils rendent trop docte et trop complexe le chant qui se veut clair, sourdant directement de la nappe poétique qui sommeille dans le poète, de son sens créateur. Et le chant s’adresse à l’oreille, se veut intelligible dès qu’on la  prête.

Nul besoin, donc, de commentaires ou d’interprète. La langue la plus vulgaire fera très bien l’affaire. Au poète de la réincarner dans un autre lieu de l’esprit, de l’élever, de la transformer en pure jouissance.

Pourquoi la poésie procure-t-elle ce plaisir étrange ? Précisément parce qu’elle est étrangère à nos embarras littéraires, à tout ce que nous compliquons si bien de nos mains très expertes.

Mascarades !

Dépouille, dépouille, et aussitôt tu trouves l’étrange. Jouis de la simple lumière, et aussitôt tu trouves le dépaysement, la très précieuse gratuité.

Ce qui est le plus près est le plus rare, ce qui ne coûte rien demande le plus long chemin. »

La vocation des mots

Recueil de poèmes composés de 1925 à 1964
Éditions Hanc, Lausanne, 1966

Réédition Rougerie, Mortemart, 1993

LA VOCATION DES MOTS

Extrait

« Un poème est un objet singulier. Il vise à être un monde complet en soi, séparé de toute littérature. Son élément de base n’est ni l’idée ni la phrase, mais le mot. C’est autour du mot que le poème se construit tout entier.

Faut-il dire que le mot est d’abord un son, que c’est la voix humaine qui le prononce ? Oui, il faut le dire, car beaucoup de poètes l’oublient. Les mots eux-mêmes pourtant ne l’oublient pas. Ils savent qu’ils ont été d’abord des appels, des cris, des signes oraux de reconnaissance. Ainsi la vocation des mots c’est leur vocalise même.

Le mot est un être sonore. Ne pas vouloir en tenir compte–comme font ceux qui condamnent l’allitération, par exemple–c’est aller contre le jeu, contre la liberté, faute majeure en poésie.

Le poète s’entend, il s’entend chanter. Et il demande qu’on l’entende chanter. Le poème écrit est une notation musicale.

Le mot vient de la voix humaine et il retourne à la voix humaine dans le poème – quel que soit le dédale de la sémantique qu’il ait pu suivre.

Construit avec des mots, autour des mots, les éléments d’apparence disparates qui composent le poème convergent vers un même centre et tendent à la somme. Si le poème est insensé pour l’esprit c’est qu’il lui suffit d’être évident pour l’oreille. Même sensé pour l’esprit il est bon qu’il le surprenne, il a tout loisir de le choquer, de le dérouter. Soliloque, il porte en lui l’écho de mille voix. Voix de la rue et voix intimes, murmures secrets, clameurs. La plus grande candeur sera la plus grande éloquence.

Il serait néfaste que le poème eût peur des mots. Il doit se servir de tous, des plus usés et des plus neufs. Et si la langue la plus proche ne peut, sur le champ, lui donner ce qu’il lui faut, il doit, sur-le-champ, inventer le mot requis, le son requis, il peut, sur-le-champ, inventer une langue nouvelle. Aucune des lois qui régissent la prose n’a cours, sauf le rythme, devenu souverain.

Si le poème exclut la peur des mots il exclut également la peur des gens. Que rien ne l’intimide ! Et si certaines personnes ne peuvent le reconnaître, c’est parce qu’il est simple et nu. Et si d’autres prennent la fuite en le voyant, c’est parce qu’il est simple et nu. Et si d’autres encore éprouvent un plaisir étrange, c’est parce qu’il est simple et nu. Aucun moyen de l’habiller.

Pas d’hermétismes, ni triturations de métaphores, de mythologies : ils rendent trop docte et trop complexe le chant qui se veut clair, sourdant directement de la nappe poétique qui sommeille dans le poète, de son sens créateur. Et le chant s’adresse à l’oreille, se veut intelligible dès qu’on la prête.

Nul besoin, donc, de commentaires ou d’interprète. La langue la plus vulgaire fera très bien l’affaire. Au poète de la réincarner dans un autre lieu de l’esprit, de l’élever, de la transformer en pure jouissance.

Pourquoi la poésie procure-t-elle ce plaisir étrange ? Précisément parce qu’elle est étrangère à nos embarras littéraires, à tout ce que nous compliquons si bien de nos mains très expertes.

Mascarades !

Dépouille, dépouille, et aussitôt tu trouves l’étrange. Jouis de la simple lumière, et aussitôt tu trouves le dépaysement, la très précieuse gratuité.

Ce qui est le plus près est le plus rare, ce qui ne coûte rien demande le plus long chemin. »

Brefs

Éditions Strenna per Gli Amici di Paolo Fanci, Milan, 1968

BREFS

Extrait

« Qui dévore qui ?
De la lumière ou de l’ombre, qui dévore qui ?
De Jeannette ou de Jean-Luc, qui dévore qui ?
Du cœur troublé ou de l’intelligence, qui dévore qui ?
Du dompteur ou du Tigre, qui dévore qui ?
De l’océan ou de la terre ferme, qui dévore qui ?
Du doute ou de la certitude, qui dévore qui ?
De l’apparence ou de la vérité, qui dévore qui ?
Du réflexe ou de la réflexion, qui dévore qui ?
De la routine ou de ton impatience, qui dévore qui ?
De la forme ou de l’informe, qui dévore qui ?
De la nouveauté ou de la permanence, qui dévore qui ?
De l’espace ou du mouvement, qui dévore qui ?
De ta réputation ou de ta bonne conscience, qui dévore qui ? »

Mars 68

BREFS

Extrait

« Qui dévore qui ?
De la lumière ou de l’ombre, qui dévore qui ?
De Jeannette ou de Jean-Luc, qui dévore qui ?
Du cœur troublé ou de l’intelligence, qui dévore qui ?
Du dompteur ou du Tigre, qui dévore qui ?
De l’océan ou de la terre ferme, qui dévore qui ?
Du doute ou de la certitude, qui dévore qui ?
De l’apparence ou de la vérité, qui dévore qui ?
Du réflexe ou de la réflexion, qui dévore qui ?
De la routine ou de ton impatience, qui dévore qui ?
De la forme ou de l’informe, qui dévore qui ?
De la nouveauté ou de la permanence, qui dévore qui ?
De l’espace ou du mouvement, qui dévore qui ?
De ta réputation ou de ta bonne conscience, qui dévore qui ? »

Mars 68

Brefs

Éditions Strenna per Gli Amici di Paolo Fanci, Milan, 1968

Paraboliques

Éditions Hanc, Lausanne, 1968
Réédition Rougerie, Mortemart, 1993

PARABOLIQUES

PRÉAMBULE DE L’AUTEUR

Au printemps 1966 je reçus l’offre d’écrire un important ouvrage sur la peinture américaine qui devait paraître, abondamment illustré, en quatre ou cinq langues. On projetait également, pour plus tard, une édition de poche du même ouvrage, comme cela s’était fait, peu d’années auparavant, pour « la peinture abstraite, sa genèse, son expansion ». Je préparai donc, pour l’automne, un voyage à travers les États-Unis et j’envoyai des lettres en avant-poste à divers musées, à diverses galeries d’art et à des collectionneurs d’outre-Atlantique.

Vers la mi-août, très insatisfait des réponses que j’avais reçues, je renonçai à l’entreprise. Les augures étaient décidément défavorables. L’éditeur se montrait perplexe, certains de mes amis me trouvaient insensé, rien n’ébranla ma décision.

Quelques jours plus tard me parvint une lettre de mon ami Arturo Bonfanti, de Bergame. Il me priait de lui envoyer un petit texte inédit ou un poème, afin de le faire imprimer là-bas, hors commerce, pour le plaisir de quelques personnes. Je fouillai mes tiroirs et je trouvai neuf petits écrits que je lui envoyai aussitôt pour qu’il y fasse son choix. Il les fit composer tous et je donnai pour titre à la plaquette « neuf paraboliques ».

Cette édition, faite avec tant de sympathie, me mit dans un climat que l’on pourrait dire aux antipodes de la peinture américaine. J’y pris tellement goût que, de septembre 1966 à février 1967, au lieu de parcourir d’un bout à l’autre le pays de Walt Whitman pour y débusquer quelque génie de la peinture encore caché (s’il en reste), j’écrivis ce que vous allez lire.

C’est un voyage mental plutôt mais l’espace ne manque pas, bien qu’il soit fait sur place.
Telle pierre qui roule amasse des vestiges d’étranges mousses et des parfums de fleurs insoupçonnées, je le sais. Mais il est un âge – et c’est le mien – ou le plus grand plaisir c’est de faire, nonchalamment, des ricochets.
M.S.

Extrait

SHU

« S’il s’agit de savoir, disait Shu, c’est très facile, mais s’il s’agit de ne pas savoir c’est très difficile. Les hommes savent tout et ils ont réponse à tout. Je cherche depuis longtemps un homme qui ne sache pas tout, qui n’ait pas réponse à tout, et je ne le trouve pas. Il semble impossible de trouver un homme qui dise « je ne sais pas » ou qui ne dise rien. Alors, ne trouvant pas, j’ai laissé les hommes à leurs discours, et lorsque je n’ai plus perçu qu’un murmure lointain j’ai pensé que c’était beau comme une mélopée et que tout avait un sens de nouveau, que c’était beau comme un champ vu du haut d’une colline quand on assiste plus à la dispute sans fin des paysans autour de leur gros sous.

Ne pouvant m’entendre avec les hommes j’ai regardé la pomme, et c’est la pomme qui m’a tout appris, la pomme silencieuse. Pour elle, tout se passe entre le soleil et elle, il n’y a rien d’autre que le soleil et elle. Mûrir au soleil, voilà sa vérité, voilà la vérité entière, mûrir au soleil. Soleil ! So – leil ! Lei, buon signore, fa mi sophron, fa mi sophron. Fais- moi doux au toucher, soleil, parfume moi, rends-moi tendre. So – Leil ! So – leil ! Viens soleil. Viens me voir chez moi, viens me voir avec du rouge et du vert, avec du bleu et du gris, avec du blanc et du mauve, avec du jaune et de l’orange. Viens soleil, il y a de la place chez moi, les hommes ont vidé les lieux, les hommes et leur savoir et leur réponse à tout. Il n’y a plus de place que pour toi. Toi. Toi – moi. Me – te. Ce. Ce – me.

S’il s’agit de savoir, disait Shu, c’est très facile, mais s’il s’agit de ne pas savoir c’est très difficile. Car les hommes savent tout, avec leur double vue. Ils sont tellement plus forts que le soleil. Ils n’ont pas besoin de soleil. Mais moi, j’ai besoin d’être pomme. »

PARABOLIQUES

PRÉAMBULE DE L’AUTEUR

Au printemps 1966 je reçus l’offre d’écrire un important ouvrage sur la peinture américaine qui devait paraître, abondamment illustré, en quatre ou cinq langues. On projetait également, pour plus tard, une édition de poche du même ouvrage, comme cela s’était fait, peu d’années auparavant, pour « la peinture abstraite, sa genèse, son expansion ». Je préparai donc, pour l’automne, un voyage à travers les États-Unis et j’envoyai des lettres en avant-poste à divers musées, à diverses galeries d’art et à des collectionneurs d’outre-Atlantique.

Vers la mi-août, très insatisfait des réponses que j’avais reçues, je renonçai à l’entreprise. Les augures étaient décidément défavorables. L’éditeur se montrait perplexe, certains de mes amis me trouvaient insensé, rien n’ébranla ma décision.

Quelques jours plus tard me parvint une lettre de mon ami Arturo Bonfanti, de Bergame. Il me priait de lui envoyer un petit texte inédit ou un poème, afin de le faire imprimer là-bas, hors commerce, pour le plaisir de quelques personnes. Je fouillai mes tiroirs et je trouvai neuf petits écrits que je lui envoyai aussitôt pour qu’il y fasse son choix. Il les fit composer tous et je donnai pour titre à la plaquette « neuf paraboliques ».

Cette édition, faite avec tant de sympathie, me mit dans un climat que l’on pourrait dire aux antipodes de la peinture américaine. J’y pris tellement goût que, de septembre 1966 à février 1967, au lieu de parcourir d’un bout à l’autre le pays de Walt Whitman pour y débusquer quelque génie de la peinture encore caché (s’il en reste), j’écrivis ce que vous allez lire.

C’est un voyage mental plutôt mais l’espace ne manque pas, bien qu’il soit fait sur place.
Telle pierre qui roule amasse des vestiges d’étranges mousses et des parfums de fleurs insoupçonnées, je le sais. Mais il est un âge – et c’est le mien – ou le plus grand plaisir c’est de faire, nonchalamment, des ricochets.
M.S.

SHU

« S’il s’agit de savoir, disait Shu, c’est très facile, mais s’il s’agit de ne pas savoir c’est très difficile. Les hommes savent tout et ils ont réponse à tout. Je cherche depuis longtemps un homme qui ne sache pas tout, qui n’ait pas réponse à tout, et je ne le trouve pas. Il semble impossible de trouver un homme qui dise « je ne sais pas » ou qui ne dise rien. Alors, ne trouvant pas, j’ai laissé les hommes à leurs discours, et lorsque je n’ai plus perçu qu’un murmure lointain j’ai pensé que c’était beau comme une mélopée et que tout avait un sens de nouveau, que c’était beau comme un champ vu du haut d’une colline quand on assiste plus à la dispute sans fin des paysans autour de leur gros sous.

Ne pouvant m’entendre avec les hommes j’ai regardé la pomme, et c’est la pomme qui m’a tout appris, la pomme silencieuse. Pour elle, tout se passe entre le soleil et elle, il n’y a rien d’autre que le soleil et elle. Mûrir au soleil, voilà sa vérité, voilà la vérité entière, mûrir au soleil. Soleil ! So – leil ! Lei, buon signore, fa mi sophron, fa mi sophron. Fais- moi doux au toucher, soleil, parfume moi, rends-moi tendre. So – Leil ! So – leil ! Viens soleil. Viens me voir chez moi, viens me voir avec du rouge et du vert, avec du bleu et du gris, avec du blanc et du mauve, avec du jaune et de l’orange. Viens soleil, il y a de la place chez moi, les hommes ont vidé les lieux, les hommes et leur savoir et leur réponse à tout. Il n’y a plus de place que pour toi. Toi. Toi – moi. Me – te. Ce. Ce – me.

S’il s’agit de savoir, disait Shu, c’est très facile, mais s’il s’agit de ne pas savoir c’est très difficile. Car les hommes savent tout, avec leur double vue. Ils sont tellement plus forts que le soleil. Ils n’ont pas besoin de soleil. Mais moi, j’ai besoin d’être pomme. »

Paraboliques

Éditions Hanc, Lausanne, 1968
Réédition Rougerie, Mortemart, 1993

Le jardin privé du géomètre

Éditions Bollinger et Hürlimann, Zurich 1974

Le jardin privé du géomètre

Réédition Rougerie, Mortemart, 1988

LE JARDIN PRIVÉ DU GÉOMÈTRE

Extrait de 11 essais de voix pour un chant du soir

11

« j’ai longtemps vécu
dans un épais brouillard
qui me paraissait être
le parfum de la vie même

et j’ajoutais avec passion
mes fumées propres
à cette densité

mes yeux pourtant s’efforçaient
parfois d’en percer l’ombre

soleils
ils étaient faits pour éclairer

un jour
la force de mon regard
perçut très nettement sur le brouillard
le linéaire dessin
de la façade du temple

et ce dessin était

UN PONT

les fûts de deux colonnes
soutenant le linteau formaient

UN PONT
et je compris que l’accord
du maçon bâtisseur et de l’architecte
cela aussi est
UN PONT

que l’homme et la femme unis sont

UN PONT… »

LE JARDIN PRIVÉ DU GÉOMÈTRE

Extrait de 11 essais de voix pour un chant du soir

11

« j’ai longtemps vécu
dans un épais brouillard
qui me paraissait être
le parfum de la vie même

et j’ajoutais avec passion
mes fumées propres
à cette densité

mes yeux pourtant s’efforçaient
parfois d’en percer l’ombre

soleils
ils étaient faits pour éclairer

un jour
la force de mon regard
perçut très nettement sur le brouillard
le linéaire dessin
de la façade du temple

et ce dessin était

UN PONT

les fûts de deux colonnes
soutenant le linteau formaient

UN PONT
et je compris que l’accord
du maçon bâtisseur et de l’architecte
cela aussi est
UN PONT

que l’homme et la femme unis sont

UN PONT… »

Le jardin privé du géomètre

Éditions Bollinger et Hürlimann, Zurich 1974

Le jardin privé du géomètre

Réédition Rougerie, Mortemart, 1988

TROIS MORALES

Trois morales

Éditions Scheiwiller, Milan, 1974

TROIS MORALES

Trois morales

Éditions Scheiwiller, Milan, 1974

Gosps et Cosnops

Éditions Convergence, Nantes, 1984

Gosps et Cosnops

Réédition Rougerie, Mortemart, 1988

GOSPS ET COSNOPS

INTRODUCTION

Les poèmes de la première partie de ce livre datent tous de 1973 et 1974 et se situent dans le même climat que le recueil intitulé Le jardin privé du géomètre, publié par Bolliger et Hürlimann, en 1974. Ceux de la seconde partie sont généralement d’une origine plus ancienne, ils ont été écrits entre 1949 et 1975.

Deux choix de textes, pris dans Gosps et Cosnops, ont parut dans la revue Création (Vol III déc 1972 ET vol XIV, déc 1978). Un tiré à part a été fait du second de ces choix avec la couverture de Staritsky.
Un poème – Sur un vers de Virgile – , se trouve dans le catalogue de l’exposition de l’œuvre plastique de Seuphor au musée de la Boverie, à Liège, en 1981.
Deux poèmes – Entre rien et rien et Les apparences – ont fait l’objet d’une plaquette tirée à 117 exemplaires, éditée par la Galerie Martano, à Turin, en 1967.

Trois autres poèmes – Trouvé tel, Communiqué et La puste – ont constitué un Cahier d’Odradec (Liège) tiré à 50 exemplaires sous le titre Trouvé tel (1973)

Extrait (éditions Convergence)
BONNE VIE

« la vie doit être assez bonne pour

permettre un jour de pousser
doucement très doucement
la face de l’ample colonel
dans la tarte à la crème

la vie doit être assez bonne pour
traduire en persiflage le radotage
du président
pour édenter le beau parleur qui a réponse
à tout
pour voir le bien assis se transformer
en pot de chambre et la main
basse se consumer sur ce qu’elle
tient

la vie doit être assez bonne pour voir
l’étoile de première grandeur
– hissée là-haut avec mille
artifices – faire plouf dans le
marais
pour voir le tortionnaire tordu et
l’habile homme déshabillé

la vie doit être assez bonne pour nous
permettre quelquefois d’applaudir
à la farce
puisque c’est pour rire »

GOSPS ET COSNOPS

INTRODUCTION

Les poèmes de la première partie de ce livre datent tous de 1973 et 1974 et se situent dans le même climat que le recueil intitulé Le jardin privé du géomètre, publié par Bolliger et Hürlimann, en 1974. Ceux de la seconde partie sont généralement d’une origine plus ancienne, ils ont été écrits entre 1949 et 1975.

Deux choix de textes, pris dans Gosps et Cosnops, ont parut dans la revue Création (Vol III déc 1972 ET vol XIV, déc 1978). Un tiré à part a été fait du second de ces choix avec la couverture de Staritsky.
Un poème – Sur un vers de Virgile – , se trouve dans le catalogue de l’exposition de l’œuvre plastique de Seuphor au musée de la Boverie, à Liège, en 1981.
Deux poèmes – Entre rien et rien et Les apparences – ont fait l’objet d’une plaquette tirée à 117 exemplaires, éditée par la Galerie Martano, à Turin, en 1967.

Trois autres poèmes – Trouvé tel, Communiqué et La puste – ont constitué un Cahier d’Odradec (Liège) tiré à 50 exemplaires sous le titre Trouvé tel (1973)

Extrait (éditions Convergence)
BONNE VIE

« la vie doit être assez bonne pour

permettre un jour de pousser
doucement très doucement
la face de l’ample colonel
dans la tarte à la crème

la vie doit être assez bonne pour
traduire en persiflage le radotage
du président
pour édenter le beau parleur qui a réponse
à tout
pour voir le bien assis se transformer
en pot de chambre et la main
basse se consumer sur ce qu’elle
tient

la vie doit être assez bonne pour voir
l’étoile de première grandeur
– hissée là-haut avec mille
artifices – faire plouf dans le
marais
pour voir le tortionnaire tordu et
l’habile homme déshabillé

la vie doit être assez bonne pour nous
permettre quelquefois d’applaudir
à la farce
puisque c’est pour rire »

Gosps et Cosnops

Éditions Convergence, Nantes, 1984

Gosps et Cosnops

Réédition Rougerie, Mortemart, 1988

Le don de la parole

Éditions Mallier, Saint-Aquilin de Pacy, 1970

LE DON DE LA PAROLE

Extrait (éditions Convergence)
45

« Le profond instinct en nous qui compose, qui organise, qui construit, est proprement notre force prométhéenne. Elle met le sceau sur tous nos actes humains et particulièrement sur le langage. Car notre méthode de communication est d’abord une organisation de mots, de phrases, une construction de sons. Le sens des mots est secondaire, il change de signification suivant la personne qui communique ou qui enregistre, suivant le lieu et le temps. La chose positive et stable c’est le charme de la structure ; nous en sommes saisis avant que de comprendre ce que l’on veut nous signifier. On le sait bien d’ailleurs : non pas ce qu’il dit, mais la manière de dire – avec les silences, les variations, les répétitions, toute une architecture interne – fait l’art de l’orateur, du poète. Et celui des dictons. Tel père tel fils est d’une logique simpliste qui ne vaut guère*, mais la structure des quatre syllabes dont deux se répètent, les deux autres étant une longue et une brève d’une grande différence phonétique, le rend inarrachable à la mémoire, quelque douteux qu’en soit le sens. »

*Un des empereurs romains les plus cruels et les plus dissolus, Commode, était le propre fils de Marc-Aurèle, un des plus nobles esprits de tous les temps. La vérité est souvent triste.

LE DON DE LA PAROLE

Extrait (éditions Convergence)
45

« Le profond instinct en nous qui compose, qui organise, qui construit, est proprement notre force prométhéenne. Elle met le sceau sur tous nos actes humains et particulièrement sur le langage. Car notre méthode de communication est d’abord une organisation de mots, de phrases, une construction de sons. Le sens des mots est secondaire, il change de signification suivant la personne qui communique ou qui enregistre, suivant le lieu et le temps. La chose positive et stable c’est le charme de la structure ; nous en sommes saisis avant que de comprendre ce que l’on veut nous signifier. On le sait bien d’ailleurs : non pas ce qu’il dit, mais la manière de dire – avec les silences, les variations, les répétitions, toute une architecture interne – fait l’art de l’orateur, du poète. Et celui des dictons. Tel père tel fils est d’une logique simpliste qui ne vaut guère*, mais la structure des quatre syllabes dont deux se répètent, les deux autres étant une longue et une brève d’une grande différence phonétique, le rend inarrachable à la mémoire, quelque douteux qu’en soit le sens. »

*Un des empereurs romains les plus cruels et les plus dissolus, Commode, était le propre fils de Marc-Aurèle, un des plus nobles esprits de tous les temps. La vérité est souvent triste.

Le don de la parole

Éditions Mallier, Saint-Aquilin de Pacy, 1970

Les dimensions de la liberté

Éditions Mallier, Saint-Aquilin de Pacy, 1973

LES DIMENSIONS DE LA LIBERTÉ

Extrait

« Nous gagnons nos galons de liberté dans le combat avec nous-mêmes, c’est-à-dire dans la résistance à nos penchants excessifs et l’organisation équilibrée de notre vie, passant au crible serré tous les appels de l’extérieur. Il y a une assiette active mais pondérée de l’esprit qu’il faut garder intacte avant tout. Car toutes les joies sont là, j’entends les saines et les sereines, sans compromissions, sans lendemains douloureux. Cette pondération vivante de l’esprit consiste dans l’attention et la disponibilité continue vis-à-vis de tous les faits physiques ou moraux de la vie quotidienne, étude qui a pour but le perfectionnement continuel de l’instrument qui nous gouverne : la raison. »

LES DIMENSIONS DE LA LIBERTÉ

Extrait

« Nous gagnons nos galons de liberté dans le combat avec nous-mêmes, c’est-à-dire dans la résistance à nos penchants excessifs et l’organisation équilibrée de notre vie, passant au crible serré tous les appels de l’extérieur. Il y a une assiette active mais pondérée de l’esprit qu’il faut garder intacte avant tout. Car toutes les joies sont là, j’entends les saines et les sereines, sans compromissions, sans lendemains douloureux. Cette pondération vivante de l’esprit consiste dans l’attention et la disponibilité continue vis-à-vis de tous les faits physiques ou moraux de la vie quotidienne, étude qui a pour but le perfectionnement continuel de l’instrument qui nous gouverne : la raison. »

Les dimensions de la liberté

Éditions Mallier, Saint-Aquilin de Pacy, 1973

Falaise et le grand pacifique

Michel Seuphor, Nantes, Convergence, 1988

Falaise et le grand pacifique

Réédition Rougerie, Mortemart, 1992

FALAISE ET LE GRAND PACIFIQUE

Extrait
L’ABSENT
« Il y avait quelqu’un sur la falaise.
Il n’y a plus quelqu’un sur la falaise.
Plus rien que le roc nu.
À l’endroit où était sa maison
la pierre est désolée
où tout à l’heure
la mer vomira sa colère.

Il y a dans ce silence
une voix qui crie malédiction.
Et les oiseaux ont fui
où il y avait la vie
où il y avait quelqu’un.

Les choses sont éphémères ici
tout a une fin
et la lumière aussi.
Si tu veux la connaître
Vas-y avant la nuit. »

FALAISE ET LE GRAND PACIFIQUE

Extrait
L’ABSENT
« Il y avait quelqu’un sur la falaise.
Il n’y a plus quelqu’un sur la falaise.
Plus rien que le roc nu.
À l’endroit où était sa maison
la pierre est désolée
où tout à l’heure
la mer vomira sa colère.

Il y a dans ce silence
une voix qui crie malédiction.
Et les oiseaux ont fui
où il y avait la vie
où il y avait quelqu’un.

Les choses sont éphémères ici
tout a une fin
et la lumière aussi.
Si tu veux la connaître
Vas-y avant la nuit. »

Falaise et le grand pacifique

Michel Seuphor, Nantes, Convergence, 1988

Falaise et le grand pacifique

Réédition Rougerie, Mortemart, 1992

De cet humus où nous sommes semés

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, janvier 1989

DE CET HUMUS OÙ NOUS SOMMES SEMÉS

Extrait
GENÈSE DU CERCLE ET DU CARRÉ

« Donne-moi une syllabe que je te fasse un mot, que je te fasse un mur de mots, un mont de mots, une mer de mots, un ciel de mots, où ait sa place le plus beau mot : soleil. Nous sommes quelques-uns qui lui faisons une cour d’amour. Nous l’honorons avec de vieilles rengaines, des orgues de barbarie et des orchestrions. Il nous répond en nous envoyant des fleurs si belles qu’elles font pâlir de honte les pyramides qui n’ont pas d’autre issue que de s’enfoncer dans le sable. C’est ainsi que s’est terminée la longue hégémonie du triangle et que nous sommes entrés dans le règne du cercle et du carré.

J’avance, dit le carré, quel beau progrès nous avons fait ! Je reste, dit le cercle, dans chaque instant je fais le tour de moi. »

DE CET HUMUS OÙ NOUS SOMMES SEMÉS

Extrait
GENÈSE DU CERCLE ET DU CARRÉ

« Donne-moi une syllabe que je te fasse un mot, que je te fasse un mur de mots, un mont de mots, une mer de mots, un ciel de mots, où ait sa place le plus beau mot : soleil. Nous sommes quelques-uns qui lui faisons une cour d’amour. Nous l’honorons avec de vieilles rengaines, des orgues de barbarie et des orchestrions. Il nous répond en nous envoyant des fleurs si belles qu’elles font pâlir de honte les pyramides qui n’ont pas d’autre issue que de s’enfoncer dans le sable. C’est ainsi que s’est terminée la longue hégémonie du triangle et que nous sommes entrés dans le règne du cercle et du carré.

J’avance, dit le carré, quel beau progrès nous avons fait ! Je reste, dit le cercle, dans chaque instant je fais le tour de moi. »

De cet humus où nous sommes semés

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, janvier 1989

Ambulando

Michel Seuphor, éditions Rougerie, Mortemart, 1989

AMBULANDO

Extrait
AMBULANDO

« Comme cette immense lande couverte de racines éparses qui semblaient être des fleurs. Car les fleurs, à force de penser à leurs racines, sont toutes devenues filiformes, et les racines, rêvant des fleurs, ont pris des couleurs vives. Et nous sommes quelques-uns maintenant à ne plus faire la différence entre la fleur et la racine, entre le spectacle et la machinerie, entre une origine obscure et le grand lustre du couronnement, entre l’apparence des choses et leur secret, entre le ciel généreux et l’indigente terre, entre l’étoile et la cendre.

Et je me promène souvent par cette lande qui m’appartient, à cause de ma faculté d’étonnement, mais je n’y trouve pas de fleurs, pas même de racines, je n’y vois rien d’autre que l’immense appel, la béance, l’interrogation, le désespoir. Alors je sème mon cristal de roche que le sable aussitôt engloutit et je laboure le sol avec ce pauvre outil que je tiens à la main, qui m’obéit par habitude, qui a tous les courages. Et voilà qu’il réussit à tracer des sillons dans cette plage, des modulations qui ressemblent à des vaguelettes pour réjouir le sol et le regard. Mais passe la mouette avec son vol impératif et tout s’efface, tout s’égalise, aucune trace ne reste de mon effort. Et la mouette, en repassant, me siffle : ni-i-i-si ni-i-i-si si-ni-si

Saurai-je si cela me trouble ? Je contemple. Il n’y a place, en moi, que pour l’admiration. Et peu à peu, voilà que je perçois que ça laboure au fond de moi et que la lande, immense, est là, au fond de moi, avec ses fleurs et ses racines. Et la mouette passe et repasse car elle est mon amie de tous les jours dans cet espace dont je possède la clé, dont je suis l’infini.

Et c’est avec son aile que je remue la terre et que j’écris. »

AMBULANDO

Extrait
AMBULANDO

« Comme cette immense lande couverte de racines éparses qui semblaient être des fleurs. Car les fleurs, à force de penser à leurs racines, sont toutes devenues filiformes, et les racines, rêvant des fleurs, ont pris des couleurs vives. Et nous sommes quelques-uns maintenant à ne plus faire la différence entre la fleur et la racine, entre le spectacle et la machinerie, entre une origine obscure et le grand lustre du couronnement, entre l’apparence des choses et leur secret, entre le ciel généreux et l’indigente terre, entre l’étoile et la cendre.

Et je me promène souvent par cette lande qui m’appartient, à cause de ma faculté d’étonnement, mais je n’y trouve pas de fleurs, pas même de racines, je n’y vois rien d’autre que l’immense appel, la béance, l’interrogation, le désespoir. Alors je sème mon cristal de roche que le sable aussitôt engloutit et je laboure le sol avec ce pauvre outil que je tiens à la main, qui m’obéit par habitude, qui a tous les courages. Et voilà qu’il réussit à tracer des sillons dans cette plage, des modulations qui ressemblent à des vaguelettes pour réjouir le sol et le regard. Mais passe la mouette avec son vol impératif et tout s’efface, tout s’égalise, aucune trace ne reste de mon effort. Et la mouette, en repassant, me siffle : ni-i-i-si ni-i-i-si si-ni-si

Saurai-je si cela me trouble ? Je contemple. Il n’y a place, en moi, que pour l’admiration. Et peu à peu, voilà que je perçois que ça laboure au fond de moi et que la lande, immense, est là, au fond de moi, avec ses fleurs et ses racines. Et la mouette passe et repasse car elle est mon amie de tous les jours dans cet espace dont je possède la clé, dont je suis l’infini.

Et c’est avec son aile que je remue la terre et que j’écris. »

Ambulando

Michel Seuphor, éditions Rougerie, Mortemart, 1989

Équation première

Michel Seuphor, daté du juin 1989, éditions Scheiwiller, Milan, 1991

ÉQUATION PREMIÈRE

Texte intégral

« Être est au-delà des temps, il est sans fin et sans commencement. S’il fait « tout en toute chose » c’est qu’il est principe de vie. Pourtant il souffre de l’absence d’espace. Pur esprit et donc impondérable, il ne peut se manifester que très imparfaitement à travers des filtres et des substitutions qui le cachent plus qu’ils ne le révèlent. Ainsi la présence de l’être dans le monde tangible de l’espace est toujours aléatoire, altérée, pauvrement devinée et il faut à l’homme – en mal perpétuel de devenir – un effort contre l’égo, une curiosité tenace d’autre chose pour quelque peu s’en approcher. S’il y réussit c’est grâce aux moyens intuitifs de la part spirituelle qui lui a été donnée mais qui, chez la plupart, est morte d’inaction.

Avoir dispose de tout l’espace, mais l’être lui échappe totalement. Il ne souffre pas de ce manque, il souffre parce qu’il n’a jamais assez. Il souffre aussi parce qu’il a peur de perdre. Les avoirs qu’il tient si fermement lui tombent soudain des mains ou sont escamotés par d’autres avoirs en quête de plus et mieux doués pour l’appropriation. Avoir est un combat d’avoirs. Il n’y a pas un seul humain qui ne tombe, un jour ou l’autre, dans ses pièges. C’est le monde des pesanteurs et donc des chutes qui, fatalement, mettent l’homme en contact avec la poussière, très semblable à sa propre cendre. De déception en déception, de défaite en défaite, le face à face du vide peut créer un état nouveau qui lui permet d’entrevoir, derrière le néant de la matière, la présence d’autre chose qui n’est pas chose du tout et un contact peut se faire, furtif comme un reflet, avec l’inconnaissable, lequel, s’il peut encore s’ancrer dans ce tas de détritus, conduit à une nouvelle naissance.

Partout et toujours, les avoirs sont des mirages, l’être est vérité.

Tout, dans ce monde trompeur, donne accès aux avoirs, rien ne donne directement accès à l’être si ce n’est une bonne disposition naturelle. Crédit gratuit, qui porte à l’étude, à la réflexion et qui, de la sorte, facilité l’éclosion de l’esprit.

Ainsi seule la vie attentive peut établir la sensible communion avec l’être, avec ce que les hindouistes appellent la « non dualité ».

Cette non dualité est l’extrême avancée de la spirale du savoir, une sagesse qui n’est plus sagesse, une connaissance qui n’est plus une connaissance, mais un être avec, une bonté si habituelle qu’elle s’ignore bonne.

Car la vraie bonté n’est pas bonne, dit le taoïste, elle est simplement ce qu’elle est. »

Michel Seuphor, juin 1989

ÉQUATION PREMIÈRE

Texte intégral

« Être est au-delà des temps, il est sans fin et sans commencement. S’il fait « tout en toute chose » c’est qu’il est principe de vie. Pourtant il souffre de l’absence d’espace. Pur esprit et donc impondérable, il ne peut se manifester que très imparfaitement à travers des filtres et des substitutions qui le cachent plus qu’ils ne le révèlent. Ainsi la présence de l’être dans le monde tangible de l’espace est toujours aléatoire, altérée, pauvrement devinée et il faut à l’homme – en mal perpétuel de devenir – un effort contre l’égo, une curiosité tenace d’autre chose pour quelque peu s’en approcher. S’il y réussit c’est grâce aux moyens intuitifs de la part spirituelle qui lui a été donnée mais qui, chez la plupart, est morte d’inaction.

Avoir dispose de tout l’espace, mais l’être lui échappe totalement. Il ne souffre pas de ce manque, il souffre parce qu’il n’a jamais assez. Il souffre aussi parce qu’il a peur de perdre. Les avoirs qu’il tient si fermement lui tombent soudain des mains ou sont escamotés par d’autres avoirs en quête de plus et mieux doués pour l’appropriation. Avoir est un combat d’avoirs. Il n’y a pas un seul humain qui ne tombe, un jour ou l’autre, dans ses pièges. C’est le monde des pesanteurs et donc des chutes qui, fatalement, mettent l’homme en contact avec la poussière, très semblable à sa propre cendre. De déception en déception, de défaite en défaite, le face à face du vide peut créer un état nouveau qui lui permet d’entrevoir, derrière le néant de la matière, la présence d’autre chose qui n’est pas chose du tout et un contact peut se faire, furtif comme un reflet, avec l’inconnaissable, lequel, s’il peut encore s’ancrer dans ce tas de détritus, conduit à une nouvelle naissance.

Partout et toujours, les avoirs sont des mirages, l’être est vérité.

Tout, dans ce monde trompeur, donne accès aux avoirs, rien ne donne directement accès à l’être si ce n’est une bonne disposition naturelle. Crédit gratuit, qui porte à l’étude, à la réflexion et qui, de la sorte, facilité l’éclosion de l’esprit.

Ainsi seule la vie attentive peut établir la sensible communion avec l’être, avec ce que les hindouistes appellent la « non dualité ».

Cette non dualité est l’extrême avancée de la spirale du savoir, une sagesse qui n’est plus sagesse, une connaissance qui n’est plus une connaissance, mais un être avec, une bonté si habituelle qu’elle s’ignore bonne.

Car la vraie bonté n’est pas bonne, dit le taoïste, elle est simplement ce qu’elle est. »

Michel Seuphor, juin 1989

Équation première

Michel Seuphor, daté du juin 1989, éditions Scheiwiller, Milan, 1991

Thème

Michel Seuphor, éditions Rougerie, Mortemart, 1991

Emmaüs

Michel Seuphor, 1938,
éditions Les Bibliophiles Alésiens, Alès, 1947 (99 exemplaires)

Le silence

Michel Seuphor, éditions Les Bibliophiles Alésiens,
Alès, 1944 (347 exemplaires)

Le feu sur la montagne

Michel Seuphor, éditions Les Bibliophiles Alésiens,
Alès, 1945 (210 exemplaires)

Christophore et fête

Michel Seuphor, Imprimerie Puech,
Anduze, 1944 (100 exemplaires)

Poésie et amour

Michel Seuphor, éditions Les Bibliophiles Alésiens,
Alès, 1946 (40 exemplaires)

Faire l'homme universel

Michel Seuphor, éditions Les Bibliophiles Alésiens,
Alès 1947 (111 exemplaires)

THÈMES

INTRODUCTION

Ce volume reprend les textes de publications antérieures épuisées :

Emmaüs (1938), Michel Seuphor, éditions Les Bibliophiles Alésiens, Alès, 1947 (99 exemplaires).
Le feu sur la montagne, Michel Seuphor, éditions Les Bibliophiles Alésiens, Alès, 1945 (210 exemplaires).
Le silence, Michel Seuphor, éditions Les Bibliophiles Alésiens, Alès, 1944 (347 exemplaires).
Poésie et amour, Michel Seuphor, éditions Les Bibliophiles Alésiens, Alès, 1946 (40 exemplaires).
Christophore et fête, Michel Seuphor, Imprimerie Puech, Anduze, 1944 (100 exemplaires).
Faire l’homme universel, Michel Seuphor, éditions Les Bibliophiles Alésiens, Alès 1947 (111 exemplaires).
Nus dits, Michel Seuphor, édition Les Bibliophiles Alésiens, Alès, 1948 (64 exemplaires).

Extrait
TERRE PROMISE

« Comme j’en étais là, je sentis subitement que j’avais atteint l’autre versant, le côté du soleil. Je me voyais encore courant dans le brouillard, inquiet, déchiré, criant de toutes mes forces. Mais cela, c’était une simple projection de ce que je fus, une sorte de survie de l’autre homme – car je souriais maintenant et le cinéma que je voyais encore sur moi ne m’intéressais plus du tout. Il y avait, dans cette nouveauté naissante, une permanence quand même, puisque je décidai tout aussitôt d’écrire un livre : comment j’ai fait pour parvenir à rien.

Rien c’est le cœur de l’éblouissement, la pupille de la lumière, le vide central et le lieu de l’amour. Allons construire des ponts. Laissons toute philosophie. Comme j’en étais là, je sus que la philosophie était bonne assez pour me mener jusque-là, m’apprendre qu’il faut laisser toute philosophie. Allons construire des ponts, entrons dans le joyeux pays de faire. »

THÈMES

INTRODUCTION

Ce volume reprend les textes de publications antérieures épuisées :

Emmaüs (1938), Michel Seuphor, éditions Les Bibliophiles Alésiens, Alès, 1947 (99 exemplaires).
Le feu sur la montagne, Michel Seuphor, éditions Les Bibliophiles Alésiens, Alès, 1945 (210 exemplaires).
Le silence, Michel Seuphor, éditions Les Bibliophiles Alésiens, Alès, 1944 (347 exemplaires).
Poésie et amour, Michel Seuphor, éditions Les Bibliophiles Alésiens, Alès, 1946 (40 exemplaires).
Christophore et fête, Michel Seuphor, Imprimerie Puech, Anduze, 1944 (100 exemplaires).
Faire l’homme universel, Michel Seuphor, éditions Les Bibliophiles Alésiens, Alès 1947 (111 exemplaires).
Nus dits, Michel Seuphor, édition Les Bibliophiles Alésiens, Alès, 1948 (64 exemplaires).

Extrait
TERRE PROMISE

« Comme j’en étais là, je sentis subitement que j’avais atteint l’autre versant, le côté du soleil. Je me voyais encore courant dans le brouillard, inquiet, déchiré, criant de toutes mes forces. Mais cela, c’était une simple projection de ce que je fus, une sorte de survie de l’autre homme – car je souriais maintenant et le cinéma que je voyais encore sur moi ne m’intéressais plus du tout. Il y avait, dans cette nouveauté naissante, une permanence quand même, puisque je décidai tout aussitôt d’écrire un livre : comment j’ai fait pour parvenir à rien.

Rien c’est le cœur de l’éblouissement, la pupille de la lumière, le vide central et le lieu de l’amour. Allons construire des ponts. Laissons toute philosophie. Comme j’en étais là, je sus que la philosophie était bonne assez pour me mener jusque-là, m’apprendre qu’il faut laisser toute philosophie. Allons construire des ponts, entrons dans le joyeux pays de faire. »

Thème

Michel Seuphor, éditions Rougerie, Mortemart, 1991

Emmaüs

Michel Seuphor, 1938,
éditions Les Bibliophiles Alésiens, Alès, 1947 (99 exemplaires)

Le silence

Michel Seuphor, éditions Les Bibliophiles Alésiens,
Alès, 1944 (347 exemplaires)

Le feu sur la montagne

Michel Seuphor, éditions Les Bibliophiles Alésiens,
Alès, 1945 (210 exemplaires)

Christophore et fête

Michel Seuphor, Imprimerie Puech,
Anduze, 1944 (100 exemplaires)

Faire l'homme universel

Michel Seuphor, éditions Les Bibliophiles Alésiens,
Alès 1947 (111 exemplaires)

Poésie et amour

Michel Seuphor, éditions Les Bibliophiles Alésiens,
Alès, 1946 (40 exemplaires)

Somme toute

Michel Seuphor, Nantes, Convergence, janvier 1994

SOMME TOUTE

Extrait
ESCALE 5

« Le courage tout d’abord est refus d’une foule de plaisirs afin de sauvegarder l’unique qui est le tien qui est ta solution à toi devant l’absurde qui est ta découverte et qui te veut tel que tu es avec ton goût pour le pois chiche ton défaut à la hanche ton nombril insolite tes pores dilatés et ton regard vorace. »

SOMME TOUTE

Extrait
ESCALE 5

« Le courage tout d’abord est refus d’une foule de plaisirs afin de sauvegarder l’unique qui est le tien qui est ta solution à toi devant l’absurde qui est ta découverte et qui te veut tel que tu es avec ton goût pour le pois chiche ton défaut à la hanche ton nombril insolite tes pores dilatés et ton regard vorace. »

Somme toute

Michel Seuphor, Nantes, Convergence, janvier 1994

Les Moks et le regard frontal

Michel Seuphor, Nantes, Convergence, 1995

LES MOKS ET LE REGARD FRONTAL

Extrait

« Laisse couler ce qui coule. Laisse fuir ce qui fuit. Laisse errer ce qui erre. Laisse chanter ce qui chante. Laisse monter ce qui monte. Laisse mourir ce qui meurt. Laisse penser ce qui pense. Laisse mentir ce qui ment. »

LES MOKS ET LE REGARD FRONTAL

Extrait

« Laisse couler ce qui coule. Laisse fuir ce qui fuit. Laisse errer ce qui erre. Laisse chanter ce qui chante. Laisse monter ce qui monte. Laisse mourir ce qui meurt. Laisse penser ce qui pense. Laisse mentir ce qui ment. »

Les Moks et le regard frontal

Michel Seuphor, Nantes, Convergence, 1995

Le bazar d’Imuif

Michel Seuphor, éditions Ergo Pers, 1995

LE BAZAR D’IMUIF

Extrait
SAMPALARNA

« Comme tant d’autres, je possède moi aussi un vieux rideau pour cacher le vide dont nous n’avons que faire. Mais le mien est usé jusqu’à la corde à force d’avoir servi à masquer cette obsédante absence. Certains l’appellent le voile du temple ou pudeur sacrée ou innocence abusive. Mais il y a un problème. C’est que mon rideau à moi veut danser quelquefois. Il a des fourmis dans ses vieux plis qui entendent, à toute force, montrer leurs rides afin de rire d’eux-mêmes. J’obéis au sort et bats des mains. Le flamenco espagnol surgit alors de cette flétrissure et rugit comme un lion en rut. Les cordes ondulent, elles font de folles contorsions, imitent à s’y méprendre le grand écart et l’angle droit. Une musique monte à la tête à laquelle rien ne résiste et tout à coup je vois que quelque chose existe véritablement : mon vieux rideau pour me cacher le vide. Et le vide caché c’est mon rideau. »

LE BAZAR D’IMUIF

Extrait
SAMPALARNA

« Comme tant d’autres, je possède moi aussi un vieux rideau pour cacher le vide dont nous n’avons que faire. Mais le mien est usé jusqu’à la corde à force d’avoir servi à masquer cette obsédante absence. Certains l’appellent le voile du temple ou pudeur sacrée ou innocence abusive. Mais il y a un problème. C’est que mon rideau à moi veut danser quelquefois. Il a des fourmis dans ses vieux plis qui entendent, à toute force, montrer leurs rides afin de rire d’eux-mêmes. J’obéis au sort et bats des mains. Le flamenco espagnol surgit alors de cette flétrissure et rugit comme un lion en rut. Les cordes ondulent, elles font de folles contorsions, imitent à s’y méprendre le grand écart et l’angle droit. Une musique monte à la tête à laquelle rien ne résiste et tout à coup je vois que quelque chose existe véritablement : mon vieux rideau pour me cacher le vide. Et le vide caché c’est mon rideau. »

Le bazar d’Imuif

Michel Seuphor, éditions Ergo Pers, 1995

Musique à Dhiananda

Michel Seuphor éditions Rougerie, Mortemart, 1996

MUSIQUE À DHIANANDA

INTRODUCTION

Musique à Dhiananda est une anthologie réalisée par Michel Seuphor et René Rougerie. Les textes sont extraits de sept ouvrages de l’auteur publiés par les éditions Convergence à Nantes, entre 1989 et 1993 au tirage limité de cent exemplaires. Certains des textes de musique à Dhiananda proviennent d’ouvrages de la série « autour de Calf ».

• Les contrées de l’esprit (1989)
• Le temps soumis (1989)
• Biens (+ Voir l’ouvrage dans Série autour de Calf)
• D’où vient ? Où va ? (1991) (+ Voir l’ouvrage dans Série autour de Calf)
• Domaines du jeu (1991)
• Sans faire le moindre bruit (1992) (+ Voir l’ouvrage dans Série autour de Calf)
• Domaines du jeu (1991)
• Parenthèse (1993)

Les contrées de l’esprit

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, 1989

LES CONTRÉES DE L’ESPRIT

Extrait

« Les grands explorateurs, là-haut, ne découvrent pas non plus la panacée qu’ils cherchent. C’est que ces échafaudages mirobolants sont tous bâtis sur le roc de l’orgueil qu’il aurait fallu dynamiter d’abord. Ils sont tombés – eux, les amoureux fous de liberté – dans l’esclavage de leurs ordinateurs et de toutes les inventions nouvelles qui s’y agglomèrent chaque jour. Ils pensent fort bien qu’il faut être de son temps, mais ils s’en sont faits une idole et cette idole est un monstre étrange. Il a trente six pieds qui le font courir si vite qu’il est déjà ailleurs, dans un temps tout à fait différent du nôtre. Devant tant de déconvenues, il n’est pas rare que l’un ou l’autre des grimpeurs se rende compte de l’impasse, revienne dans ces lieux bas et me fasse une visite comme à un vieux parent. Et moi, qui l’attendais, de lui réapprendre l’alphabet, les simples mots de tous les jours, des mots âgés mais neufs toujours, les mêmes dans toutes les langues, les mortes et les vivantes, et qui permettent, sans même avoir recours au dictionnaire, de tout exprimer avec facilité, de tout comprendre. La surprise passée, ils se sentent subitement légers, euphoriques et ils s’en vont émus, rajeunis, pleins de reconnaissance. Hélas ! Il va se révéler très vite que ma divine pauvreté ne leur sera d’aucun secours : les ordinateurs et toute la panoplie qui s’y ajoute font maintenant partie de la nature de ces hommes-là. Le lourd scaphandre leur adhère à la peau et mes simples mots de tous les jours, ces mots sauveurs, ont aussi peu d’effet sur cette superbe que la caresse d’un duvet sur une plaque d’acier. »

Musique à Dhiananda

Michel Seuphor éditions Rougerie, Mortemart, 1996

MUSIQUE À DHIANANDA

INTRODUCTION

Musique à Dhiananda est une anthologie réalisée par Michel Seuphor et René Rougerie. Les textes sont extraits de sept ouvrages de l’auteur publiés par les éditions Convergence à Nantes, entre 1989 et 1993 au tirage limité de cent exemplaires. Certains des textes de musique à Dhiananda proviennent d’ouvrages de la série « autour de Calf ».

• Les contrées de l’esprit (1989)
• Le temps soumis (1989)
• Biens (+ Voir l’ouvrage dans Série autour de Calf)
• D’où vient ? Où va ? (1991) (+ Voir l’ouvrage dans Série autour de Calf)
• Domaines du jeu (1991)
• Sans faire le moindre bruit (1992) (+ Voir l’ouvrage dans Série autour de Calf)
• Domaines du jeu (1991)
• Parenthèse (1993)

LES CONTRÉES DE L’ESPRIT

Extrait

« Les grands explorateurs, là-haut, ne découvrent pas non plus la panacée qu’ils cherchent. C’est que ces échafaudages mirobolants sont tous bâtis sur le roc de l’orgueil qu’il aurait fallu dynamiter d’abord. Ils sont tombés – eux, les amoureux fous de liberté – dans l’esclavage de leurs ordinateurs et de toutes les inventions nouvelles qui s’y agglomèrent chaque jour. Ils pensent fort bien qu’il faut être de son temps, mais ils s’en sont faits une idole et cette idole est un monstre étrange. Il a trente six pieds qui le font courir si vite qu’il est déjà ailleurs, dans un temps tout à fait différent du nôtre. Devant tant de déconvenues, il n’est pas rare que l’un ou l’autre des grimpeurs se rende compte de l’impasse, revienne dans ces lieux bas et me fasse une visite comme à un vieux parent. Et moi, qui l’attendais, de lui réapprendre l’alphabet, les simples mots de tous les jours, des mots âgés mais neufs toujours, les mêmes dans toutes les langues, les mortes et les vivantes, et qui permettent, sans même avoir recours au dictionnaire, de tout exprimer avec facilité, de tout comprendre. La surprise passée, ils se sentent subitement légers, euphoriques et ils s’en vont émus, rajeunis, pleins de reconnaissance. Hélas ! Il va se révéler très vite que ma divine pauvreté ne leur sera d’aucun secours : les ordinateurs et toute la panoplie qui s’y ajoute font maintenant partie de la nature de ces hommes-là. Le lourd scaphandre leur adhère à la peau et mes simples mots de tous les jours, ces mots sauveurs, ont aussi peu d’effet sur cette superbe que la caresse d’un duvet sur une plaque d’acier. »

Les contrées de l’esprit

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, 1989

Le temps soumis

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes 1989

LE TEMPS SOUMIS

Extrait
CELA N’A PAS DE SENS

« Quand cette drôle de forme vint frapper à ma porte, elle apporta chez nous la confusion. – On ne peut pas recevoir ça ! Cria Jodelle. – Et puis cela n’a pas de sens, dit Labro. Je pensais, quant à moi, qu’on pourrait lui en trouver une peut-être et c’est tout juste que je réussis à empêcher mes amis de lui claquer la porte au nez. Hirsute, totalement mal fringuée, évidemment sauvage, la drôle de forme entra et elle alla s’asseoir dans un fauteuil sans rien dire, sans faire le moindre signe, mais montrant bien qu’elle se sentait parfaitement chez elle. Jodelle et Labro me regardèrent consternés. Sans qu’ils ouvrissent la bouche, ils me disaient assez : que voulez-vous que l’on fasse maintenant ? J’ai une habitude invétérée de croire que tout ce qui arrive porte en soi une signification secrète. Cette forme insensée, que tout le monde repoussait, cherchait évidemment un sens qui la justifierait. Et ce qu’elle cherchait, c’est chez moi qu’elle devait le trouver, puisque c’est à ma porte qu’elle était venue frapper et non pas à une autre. »

LE TEMPS SOUMIS

Extrait
CELA N’A PAS DE SENS

« Quand cette drôle de forme vint frapper à ma porte, elle apporta chez nous la confusion. – On ne peut pas recevoir ça ! Cria Jodelle. – Et puis cela n’a pas de sens, dit Labro. Je pensais, quant à moi, qu’on pourrait lui en trouver une peut-être et c’est tout juste que je réussis à empêcher mes amis de lui claquer la porte au nez. Hirsute, totalement mal fringuée, évidemment sauvage, la drôle de forme entra et elle alla s’asseoir dans un fauteuil sans rien dire, sans faire le moindre signe, mais montrant bien qu’elle se sentait parfaitement chez elle. Jodelle et Labro me regardèrent consternés. Sans qu’ils ouvrissent la bouche, ils me disaient assez : que voulez-vous que l’on fasse maintenant ? J’ai une habitude invétérée de croire que tout ce qui arrive porte en soi une signification secrète. Cette forme insensée, que tout le monde repoussait, cherchait évidemment un sens qui la justifierait. Et ce qu’elle cherchait, c’est chez moi qu’elle devait le trouver, puisque c’est à ma porte qu’elle était venue frapper et non pas à une autre. »

Le temps soumis

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes 1989

Domaines du jeu

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, 1991

DOMAINES DU JEU

Extrait
IMMEMORE

« Alma Marmalacta chante
et le temps change soudain
la terre se retourne.

Alma Marmalacta chante
tout l’univers écoute
pas une oreille qui ne contemple.

Alma Marmalacta chante
et une étoile explose.
Elle explose lentement
sans bruit et sans dégâts
illuminant les choses éparses
d’une inconnue douceur
d’une inconnue tendresse
que nous attendions tous
depuis un temps immémoré
silencieusement
dans ce trou noir. »

DOMAINES DU JEU

Extrait
IMMEMORE

« Alma Marmalacta chante
et le temps change soudain
la terre se retourne.

Alma Marmalacta chante
tout l’univers écoute
pas une oreille qui ne contemple.

Alma Marmalacta chante
et une étoile explose.
Elle explose lentement
sans bruit et sans dégâts
illuminant les choses éparses
d’une inconnue douceur
d’une inconnue tendresse
que nous attendions tous
depuis un temps immémoré
silencieusement
dans ce trou noir. »

Domaines du jeu

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes,1991

Parenthèse

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, 1993

PARENTHÈSE

Extrait
LE PLUS HAUT POINT

« Toujours en marche
tu es tu fus et tu seras.
Jamais immobile

attendant quoi ?

Regarde autour de toi :
rien n’est à l’arrêt.
Pourquoi le serais-tu ?

On avance avec ses bagages :
les récoltes antérieures
ne seront pas abandonnées.
Quelquefois on les laisse à la consigne
pour avoir les mains libres.
Et il arrive qu’on les oublie
à cause de l’abondance
des récoltes nouvelles.

Qui n’avance pas recule
est un très beau proverbe.
Mais quand on a longtemps avancé
avec la plus solide obstination
on sait qu’on tourne en rond.

Tourner en rond
autour de rien
est un bonheur en ces contrées.
C’est le bonheur d’assimiler le rien
le vide qui fait tout
à la périphérie.

Être rien avec rien
être tout avec tout
être un avec un
c’est être au plus haut point. »

PARENTHÈSE

Extrait
LE PLUS HAUT POINT

« Toujours en marche
tu es tu fus et tu seras.
Jamais immobile
attendant quoi ?

Regarde autour de toi :
rien n’est à l’arrêt.
Pourquoi le serais-tu ?

On avance avec ses bagages :
les récoltes antérieures
ne seront pas abandonnées.
Quelquefois on les laisse à la consigne
pour avoir les mains libres.
Et il arrive qu’on les oublie
à cause de l’abondance
des récoltes nouvelles.

Qui n’avance pas recule
est un très beau proverbe.
Mais quand on a longtemps avancé
avec la plus solide obstination
on sait qu’on tourne en rond.

Tourner en rond
autour de rien
est un bonheur en ces contrées.
C’est le bonheur d’assimiler le rien
le vide qui fait tout
à la périphérie.

Être rien avec rien
être tout avec tout
être un avec un
c’est être au plus haut point. »

Parenthèse

Michel Seuphor, éditions Convergence, Nantes, 1993

Les éditions Rougerie ont tiré à part les cinq ouvrages suivant entre 1988 et 1992

Ébauche d'une erreur

Michel Seuphor, éditions Rougerie, (numéro 66 de Poésie Présente), Mortemart, 1988. Originellement publié par Alcopley, New York, 1981

Et ne servir que la lumière enfin

Michel Seuphor Éditions Rougerie (numéro 73 de Poésie Présente), 1990

Petit Cahiers Miel– Miélé

Michel Seuphor, éditions Rougerie (numéro 76 de Poésie Présente), Mortemart, 1990

Le pianiste n’a que deux doigts

Michel Seuphor éditions Rougerie (numéro 84 de Poésie Présente), Mortemart, 1992

Les éditions Rougerie ont tiré à part les cinq ouvrages suivant entre 1988 et 1992

Ébauche d'une erreur

Michel Seuphor, éditions Rougerie, (numéro 66 de Poésie Présente), Mortemart, 1988. Originellement publié par Alcopley, New York, 1981

Et ne servir que la lumière enfin

Michel Seuphor éditions Rougerie (numéro 73 de Poésie Présente), 1990

Petit Cahiers Miel– Miélé

Michel Seuphor, éditions Rougerie (numéro 76 de Poésie Présente), Mortemart, 1990

Le pianiste n’a que deux doigts

Michel Seuphor Éditions Rougerie (numéro 84 de Poésie Présente), Mortemart, 1992

À graver dans le cœur net

Aphorismes de Seng Tsan, traduits du chinois par Michel Seuphor Éditions Rougerie (numéro 65 de Poésie Présente), Mortemart, 1988 Repris plus tard en album par De Prentenier, Gand, 1995

À GRAVER DANS LE COEUR NET

PRÉAMBULE DE L’AUTEUR

Un ami d’Allemagne, connaissant ma passion pour les langues, m’envoie un jour ce précieux recueil de soixante-treize apophtegmes du XIe siècle chinois, muni de trois traductions, anglaise, allemande et française. Singulière tentation ! Les trois interprétations différant parfois notablement, il fallut que j’aie la mienne. Je me suis laissé conduire par ma volonté habituelle de simplicité, de clarté. Pour être bouddhiste, cette forme de pensée ou de paradoxe me paraissait étrangement proche du taoïsme. C’est là que résidait, pour moi, le principal attrait. Plusieurs de ces formules auraient leur place tout indiquée dans le Tao Te King ou dans le livre de Tchouang Tzeu.

Pour dix-sept des sentences j’ai dû renoncer, le sens de certains signes me restant impénétrable malgré l’usage de divers dictionnaires et répertoires. Deviner n’est pas traduire. D’autant moins dans ce cas, les maîtres du zen poussant parfois très loin le laconisme et l’ambiguïté.

Ces brefs propos s’adressent à ceux qui aiment le commentaire intérieur qu’ils provoquent immanquablement à la fois très près et infiniment loin de la réalité quotidienne.

Extrait

« Simplement : ne rejette pas, n’exalte pas. Tu auras une connaissance claire et profonde.

La plus mince différence dans l’ordre des choses : voilà le ciel et la terre séparés, livrés au chaos.

Si tu désires observer quelque chose de face ne persiste pas dans le pour et le contre.

Le chemin de la perfection n’est pas malaisé : abstiens-toi seulement de choisir. »

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À graver dans le cœur net

Aphorismes de Seng Tsan, traduits du chinois par Michel Seuphor Éditions Rougerie (numéro 65 de Poésie Présente), Mortemart, 1988 Repris plus tard en album par De Prentenier, Gand, 1995

À GRAVER DANS LE COEUR NET

PRÉAMBULE DE L’AUTEUR

Un ami d’Allemagne, connaissant ma passion pour les langues, m’envoie un jour ce précieux recueil de soixante-treize apophtegmes du XIe siècle chinois, muni de trois traductions, anglaise, allemande et française. Singulière tentation ! Les trois interprétations différant parfois notablement, il fallut que j’aie la mienne. Je me suis laissé conduire par ma volonté habituelle de simplicité, de clarté. Pour être bouddhiste, cette forme de pensée ou de paradoxe me paraissait étrangement proche du taoïsme. C’est là que résidait, pour moi, le principal attrait. Plusieurs de ces formules auraient leur place tout indiquée dans le Tao Te King ou dans le livre de Tchouang Tzeu.

Pour dix-sept des sentences j’ai dû renoncer, le sens de certains signes me restant impénétrable malgré l’usage de divers dictionnaires et répertoires. Deviner n’est pas traduire. D’autant moins dans ce cas, les maîtres du zen poussant parfois très loin le laconisme et l’ambiguïté.

Ces brefs propos s’adressent à ceux qui aiment le commentaire intérieur qu’ils provoquent immanquablement à la fois très près et infiniment loin de la réalité quotidienne.

Extrait

« Simplement : ne rejette pas, n’exalte pas. Tu auras une connaissance claire et profonde.

La plus mince différence dans l’ordre des choses : voilà le ciel et la terre séparés, livrés au chaos.

Si tu désires observer quelque chose de face ne persiste pas dans le pour et le contre.

Le chemin de la perfection n’est pas malaisé : abstiens-toi seulement de choisir. »

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